mardi 28 septembre 2021

Maria Paz Santibáñez aux Frigos de Paris : Résistance féminine

 María Paz Santibáñez. Photo : Erika Olavarría

La pianiste Maria Paz Santibáñez  se présente ce dimanche 3 octobre en résidence et concert-répétition de son projet  « Résistance féminine », aux Frigos de Paris.


« Résistance féminine » est un projet de création d’œuvres pour piano et plus, avec des Œuvres (premières pour certaines) de Cristina Vilallonga, Esteban Benzecry, Marco Pérez Ramírez, Héctor Parra, Ramón Gorigoitía, Nicolás Tzortzis. Ce sont des œuvres nées de la résistance, pour le respect des Droits Humains et la dignité des personnes. Figurent dans l’axe du projet des œuvres qui intègrent des éléments scéniques performatifs possibles à réaliser en concert. La direction des concerts-performances est assurée par Glyslein Lefever. La projection d’images, partie intégrante du projet en concert, est en charge de l’artiste visuel et audiovisuel Lorena Zilleruelo.

Les pièces qu’interprète ici la pianiste Maria Paz Santibáñez, pour certaines exécutées en véritable avant-première, composent une proposition musicale novatrice, riche et diverse, qui déploie un projet audacieux. Défi formel et geste artistique fort qui ne renie pas de son enracinement citoyen, ces œuvres témoignent aussi d’un solide engagement éthique, à la hauteur de ce qui a été la trajectoire de cette artiste, figure de la résistance au Chili. 


Cette résidence aux Frigos, vient nous re signifier aussi le besoin impérieux, irréfutable et collectif de la création artistique, avec la nécessité d’espaces pour l’expression en temps difficiles.

Frigos de Paris, dimanche 3 octobre à 16h et à 18h30. 

19, rue des frigos, à Paris 13e.
 

 

mardi 5 janvier 2021

Manola Robles Delgado, une grande journaliste chilienne est partie

Manola Robles Delgado lors d’un entretien à la télévision chilienne.

Liée pendant presque 50 ans à la radiodiffusion chilienne et très aimée dans son pays, la grande journaliste Manola Robles Delgado est morte à Santiago d’un cancer au poumon, dimanche 3 janvier dernier, à 72 ans.

Fille d'un réfugié andalou arrivé en 1939 sur le bateau Winnipeg et d'une mère chilienne, Manola a été toute sa vie orientée par des solides valeurs humanistes. Animée d’une grande rigueur professionnelle, et d’une ferme exigence éthique dans l’exercice quotidien du journalisme, elle a été toujours reconnue par ses pairs comme une praticienne brillante, et guide irremplaçable pour les jeunes générations de journalistes. Sous la longue dictature chilienne elle s'est aussi distinguée par son engagement et sa contribution à la défense des droits de l'homme.

Manola Robles avec sa machine à écrire

pendant un voyage. Photo Archive familial.

Suite au putsch de Pinochet en septembre 1973, Manola avait participé très vite du réseau des correspondants clandestins, des journalistes, militants de gauche, qui collectaient très discrètement des informations et élaboraient des rapports périodiques. Rédigés en pas plus de 2 feuillets, ces rapports anonymes transmis lors de brefs rendez-vous et sous des strictes mesures de sécurité, constituaient ensuite les premières publications clandestines d’opposition qui ont circulé en dictature.

Elles dénonçaient les atrocités et la persécution sauvage lancée contre les opposants, et appelaient à une très large unité contre l’abjecte junte fasciste. Reprises à l’extérieur du Chili, puis rediffusées sur les ondes vers l’intérieur, elles ont fourni des informations objectives à la population, et ont contribué à briser le blackout imposé par la censure militaire.

Manola s’est formé comme journaliste à l'Université du Chili, et sa spécialité première a été l’économie, bien qu’elle soit restée dans l’esprit des auditeurs comme la chroniqueuse des manifestations contre Pinochet. Elle est arrivée aux informations de radio Cooperativa en 1979, et par sa présence constante sur le terrain, ses notes et dépêches incisives et directes, est devenue l'une des voix emblématiques de la radio au Chili. L’impact de la radio était alors très considérable, un média de première importance pour porter le rejet populaire à la dictature militaire dès le milieu des années 80.

Elle a intégré des équipes de presse de plusieurs stations de radio, a collaboré avec divers magazines en Amérique latine et a été également correspondante pour l'agence de presse EFE. En décembre 2000, Manola a quitté les infos de radio Cooperativa pour devenir attachée de presse aux ambassades chiliennes à Buenos Aires, puis à Madrid. Elle s’est vue attribuer pendant sa carrière diverses distinctions de journalisme, comme le Prix de journalisme latino-américain en 1988, ainsi que le Prix ​​international de journalisme José Martí.

De retour au Chili, elle a rejoint l'équipe des médias numériques de Cooperativa en 2011 et elle y a travaillé depuis comme rédactrice sans relâche, jusqu'au 24 décembre dernier, quand elle a annoncé son départ à l’antenne. Suite à l'aggravation de sa maladie, gardée longtemps dans une stricte réserve, «Mano» s’est éteinte dimanche 3 janvier dernier.

De nombreuses et sincères expressions de regret s’expriment au Chili et ailleurs pour la disparition de Manola Robles Delgado, désormais une empreinte indélébile sur le journalisme chilien et sans doute sur la culture de gauche. Elle perdure aussi dans l’histoire commune de milliers d’anonymes, avec la reconnaissance à son courage et son inébranlable engagement.

 

mercredi 30 septembre 2020

La « Caravane de la Mort », le 1er raid d'extermination héliporté de la dictature chilienne

Douze officiers de l’armée de terre chilienne, spécialement choisis parmi les plus durs et cruels, sont partis de l'aérodrome de Tobalaba le 30 septembre 1973 à bord d’un hélicoptère Puma SA 330. Ils avaient la mission d’éliminer près d’une centaine d’opposants tout au long du pays, et ils ont compté sur la collaboration des officiers et soldats des garnisons locales. Infographie Méridion.

 
La « Caravane de la Mort », c’est le surnom macabre donné à l’unité militaire qui a parcouru le Chili à la chasse d'opposants au régime, suite au coup d’État de septembre 1973. Soucieux de prouver à ses pairs de l’Armée sa ferme détermination, et de dissuader aussi quelques commandants de garnisons de province considérés légalistes et trop modérés, le dictateur Pinochet a délégué au général Sergio Arellano Stark la mission officielle « d'accélérer les procès des détenus politiques », et « d’unifier les critères d’administration de justice ».

Le général Sergio Arellano Stark, conspirateur et
putschiste de la première heure, responsable des
massacres de la Caravane de la mort. Il a échappé
à la justice grâce à une opportune démence sénile.
Investi des pleins pouvoirs, Sergio Arellano Stark —général de l’armée de terre, ancien aide de camp du président Eduardo Frei et l'un des instigateurs du coup d'État qui a destitué le gouvernement constitutionnel du Président Salvador Allende—, est parti à la tête d’une unité spéciale héliportée composée d’une douzaine d’officiers et sous-officiers triés sur le volet. C’était la première brigade volante d’extermination déployée par la dictature, quelques jours après le sanglant coup d’état du 11 septembre.

Ils ont décollé de l'aérodrome de Tobalaba le 30 septembre 1973 à bord d’un hélicoptère Puma SA 330, et ils ont traversé le Chili du sud au nord pendant le mois d’octobre.

Ils ont fait étape dans 16 villes du pays, et ils ont épluché les listes de prisonniers politiques détenus depuis le putsch dans des casernes, prisons et commissariats. Une rapide sélection opérée par le général Sergio Arellano Stark et des assistants locaux, lors d’une grossière pantomime de « tribunal militaire », a alors déterminé ceux qui devaient être exécutés sans délai.


Extraits des lieux de détention généralement la nuit, les prisonniers ont été ligotés, embarqués dans des camions de l’armée un sac de toile sur la tête, conduits dans des endroits isolés et froidement assassinés après des effroyables sévices.

Tout au long de leur sinistre parcours, l’équipe d’officiers et ses adjoints des garnisons locales ont tué leurs prisonniers avec une férocité démesurée : ils leur ont brisé les os à coups de pieds et à coups de crosses, ils leur ont fracturé les mâchoires et les jambes ; ils les ont frappés avec des longs poignards militaires corvos, ils ont arraché des yeux et ont à plusieurs reprises mutilé leurs victimes vivantes, avant de les cribler de balles.
Des sacs avec les restes de 15 victimes
de la Caravane de la mort, au cimetière
de La Serena, ville au nord du Chili.


Le passage de cette unité spéciale chargée des opérations d’extermination a fait près d’une centaine de morts. La liste totale des victimes de la Caravane de la mort, n’est pas encore close, celle des assassins n’est toujours pas entièrement établie.

Comme dans d’autres cas innombrables de massacres de détenus politiques, la version officielle des autorités militaires pour justifier ces exécutions sommaires a été que les victimes avaient tenté de s’enfuir lors du transfert.
 

Longtemps après, quand on a demandé à l'ancien général Joaquín Lagos Osorio —chef de l'armée du Nord—, pourquoi les corps des morts de son secteur n'avaient jamais été rendus aux familles, Lagos a expliqué qu'il avait honte qu'on découvre les méthodes barbares des officiers de la caravane pour assassiner leurs prisonniers.

Souvent atrocement mutilées, les dépouilles de douzaines d’opposants à la dictature ont été enterrées dans des zones désertiques, ou enfouies dans des charniers clandestins. Des années plus tard, la dictature a tenté d’effacer les traces des massacres tout au long du pays, et plusieurs charniers clandestins ont été détruits à l’explosif, vidés avec des pelles mécaniques et les restes lancés à la mer. Après des années de fouilles, de douleur et de cruelle incertitude pour les familles des victimes, quelques fragments d’os ont été retrouvés dans le désert du Nord, et dans différents sites disséminés le long du territoire chilien.

Comme dans d’autres dossiers ouverts concernant les exactions de l’armée de Pinochet pendant sa très longue dictature, des plaies béantes dans l’histoire du Chili, la vérité n’est pas rétablie, la justice n’est toujours pas passée.