Durant la Foire internationale du livre de Guadalajara (Fil), María Kodama, la veuve et héritière universelle du grand écrivain argentin Jorge Luis Borges, a signalé le 3 décembre dernier que « son admiration pour l'écrivain a augmenté quand elle l’a vu repousser indirectement le Nobel de Littérature ».
Jorge Luis Borges, mondialement célèbre et candidat permanent au prix Nobel de littérature, avait
accepté en septembre 1976 l'invitation officielle de Santiago pour rendre
visite au dictateur Augusto Pinochet, général félon unanimement rejeté par la communauté internationale, qui s’était emparé du pays par la force en 1973 et régnait depuis par la violence et la terreur.
Malgré plusieurs interventions lui
sollicitant d’annuler sa visite au Chili pour ne pas cautionner les crimes abominables
de Pinochet, l'écrivain avait refusé catégoriquement les
conseils et contre l’avis de tous avait maintenu son agenda. María Kodama raconte qu’elle a assisté à la conversation
téléphonique dans laquelle Borges confirme qu’il tiendra son engagement et se
rendra à Santiago.
Le 22 septembre 1976 Borges
a reçu de Pinochet la Grande Croix de l'« Ordre au Mérite Bernardo
O'Higgins », et il avait reçu le titre de docteur honoris causa par l’université
chilienne la veille, des mains d'un autre général officiant de « recteur délégué ». Ce même jour, 21 septembre 1976, dans un attentat à la voiture
piégée commis sur ordre de Pinochet était assassiné à Washington Orlando
Letelier, ancien ministre d’Allende exilé aux Etats unis. Sa collaboratrice
Ronni Moffitt a été également tuée dans l'attentat, et son mari grièvement blessé.
Borges s’est rendu à
Santiago pour recevoir les distinctions officielles du Chili et pour dicter une
conférence de soutien à la dictature, alors que les plaintes pour crimes
et des violations aux droits de l'homme contre Pinochet affluaient aux organes
de l’Onu et devant l’opinion internationale. Les crimes de la dictature commençaient
à être connus au grand jour et Pinochet se trouvait dans un grand isolement
diplomatique.
La visite a été possible
par l’entremise d’un fonctionnaire de second plan, un certain Sergio Martínez Baeza, obscur professeur à l'université
du Chili, qui a eu la charge de gérer l’invitation à Borges. Par un coup de
chance, il coïncide avec le penchant de l’écrivain pour les régimes
dictatoriaux et réussit à obtenir son accord.
L’essayiste uruguayen Émir Rodríguez Monegal*, signale dans son livre « Jorge Luis Borges, biographie littéraire » qu'en 1976 le choix des académiciens était partagé entre Borges et l'écrivain espagnol Vicente Aleixandre, mais que suite à la visite de Borges au dictateur chilien Pinochet, l'académie du Nobel a décidé de rayer définitivement son nom de la liste.
María Kodama Schweizer, la veuve de Borges et son héritière universelle Photo Protoplasma Kid - Wikimedia Commons |
María Kodama est la présidente de la fondation international Jorge Luis Borges, qui siège à Buenos Aires et en 2008, elle y a lancé la création d'un musée consacré à Borges. La participation de Mme Kodama à la Fil 2014 s'inscrit dans les activités de l'Argentine, pays à l'honneur de la Foire internationale du livre de Guadalajara.
*Rodríguez Monegal, Emir.
« Jorge Luis Borges, biographie littéraire ». Gallimard, Paris : Coll. Leurs Figures, 1983, 588
p.