Des neuf
stades où s'est jouée la Coupe de l'América 2015 au Chili, au moins trois portent
un passé récent très douloureux pour des milliers de chiliens : ces stades ont
été utilisés comme centres de détention et de tortures dès le début de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990). C’étaient les premiers camps
de concentration de la longue dictature militaire chilienne.
Lors des récents
travaux entrepris au stade National pour intégrer les standards de la Fifa, et
en vue des matchs internationaux de la Coupe de l'América 2015, diverses
rénovations sont intervenues : déplacement de grilles, construction d’une
fosse, remodelage des enceintes intérieures, blanchissement des façades et remplacement
des anciens gradins par des sièges individuels rouges.
Dans l'aile
nord du stade, la vaste rénovation a épargné une zone de 185 m2, où les
gradins en bois ont été gardés intacts. Ce secteur avec ses vieux gradins en
bois fendillés, qui contraste entre les nouveaux sièges de plastique rouge, a
été conservé comme un vestige des horreurs commises dans ces lieux par la
dictature de Pinochet. C’est l’ « écoutille 8 ».
Par cet accès
carré sont arrivés au stade National de Santiago près de 40.000 prisonniers
politiques qu’y ont été arrêtés et torturés par les militaires chiliens, certains
jusqu'à la mort. Des milliers d'autres détenus ont été confinés dans le stade
de Playa Ancha, dans le port de Valparaíso, et dans le stade régional de
Concepción, au sud du Chili.
Capturés lors
des rafles massives, brutalement frappés dès leur arrestation, entassés dans
des camions et sans savoir leur destination ou s'ils allaient revoir un jour
leurs familles, les prisonniers arrivaient au stade où ils restaient parqués des
semaines, dormant à même le sol dans les couloirs en béton. Ils n’avaient pas droit
aux visites et souvent leurs familles ignoraient qu’ils étaient détenus.
Sous la
tribune présidentielle du stade National on enfermait dans un secteur spécial
les prisonniers de « haut niveau » : des dirigeants et des hommes
politiques proches du gouvernement du président socialiste Salvador Allende. La
torture y était systématique, les détenus dormaient collés les uns aux autres
pour combattre le froid, privés de toilettes et forcés d’assouvir leurs besoins
corporels sur place.
C‘est là aussi
qui se perdent les traces de deux des plus célèbres détenus du stade National, le
journaliste américain Charles Horman et son compatriote Franck Teruggi, tous
deux détenus et tués à Santiago en septembre 1973.
Charles Horman, alors scénariste pour l’entreprise
chilienne de cinéma, a été arrêté par une patrouille militaire le 19 septembre,
accusé d’activités « subversives » après avoir dévoilé des agissements
de la CIA contre l'administration du président Salvador Allende. Il a été torturé
puis exécuté quelque part dans l'enceinte du stade National. Sa mort a inspiré
un livre et le célèbre film « Missing », de Costa-Gavras, primé de l'Oscar
en 1982. Frank
Teruggi a été arrêté le 20 septembre 1973, conduit au stade par les militaires et
probablement assassiné dans le même stade le 22 septembre.
Après le
retour de la démocratie, sous l’impulsion des associations des victimes, une
série d'initiatives pour la récupération de la mémoire des lieux a été lancée. En
mars 2014, des associations d’anciens prisonniers politiques ont installé un
mémorial avec des textes des prisonniers en hommage aux victimes dans l'un des
accès intérieurs de l'enceinte sportive. Deux autres mémoriaux se trouvent dans
les portes principales du stade et dans un ancien vestiaire de la piscine
olympique, qui était le lieu de détention des femmes.
Chaque 11 septembre, l'anniversaire du coup d'État qui a renversé le président Allende en 1973, des milliers de
personnes arrivent au stade et remplissent les allées de bougies allumées en
souvenir des victimes.
Le stade
national du Chili a fonctionné comme camp d’internement transitoire pendant 58
jours, du jour du putsch au 9 novembre 1973. Une partie
des détenus a été libérée, la plupart transférée vers les véritables camps de concentration
pour les prisonniers politiques, bâtis par les militaires au nord, sur la côte
et au sud du Chili.