Soutien critique du gouvernement
de Salvador Allende entre 1970 et 1973, le MIR —Mouvement de la gauche révolutionnaire— mena une résistance héroïque au coup d’État de Pinochet. Cinquante ans après sa
fondation, qu’en reste-il ? Entretien avec Franck Gaudichaud, auteur de « Chili
(1970-1973). Mille jours qui ébranlèrent le
monde ».
Par Mathieu Dejean
11 septembre 1973. Le palais de
La Moneda est en flammes à Santiago, au Chili. Les militaires séditieux,
dirigés par le général Pinochet, l’assiègent et renversent le gouvernement
d’Unité populaire démocratiquement élu. A l’intérieur, le militant socialiste
et président de la République Salvador Allende défend, mitraillette à la main,
une révolution qu’il voulait pacifique. Peu de temps avant de se donner la
mort, il parle à sa fille, Beatriz, sympathisante du Mouvement de la gauche
révolutionnaire (MIR), dirigé par Miguel Enríquez, et lui dit : « Le toca a
Miguel ». Autrement dit, désormais il revient au secrétaire général du MIR et à
ses militants d’organiser la résistance.
Fondé en 1965, ce parti de jeunes
révolutionnaires qui prônait la lutte armée, et qui avait assuré pendant un
temps la garde rapprochée d’Allende, avait prévenu précocement des risques de
coup d’Etat. Jusqu’à sa dissolution en 1987 il organise des opérations de
résistance et des tentatives de guérilla pour contrer la dictature. Aujourd’hui encore les couleurs
rouge et noir du drapeau du MIR ornent les cortèges au Chili. Mais quel
héritage et quelle mémoire a-t-il légué ? Le coup d’État a-t-il donné raison à
sa stratégie politique ? Le « néo-mirisme » existe-t-il ?
Autant de questions qui étaient
au cœur d’un colloque organisé à Santiago par la Fondation Miguel Enriquez à
l’occasion des cinquante ans de la naissance du mouvement. Nous avons interrogé
l’un de ses participants, le chercheur français Franck Gaudichaud, qui vit au
Chili, auteur de Chili (1970-1973). Mille jours qui ébranlèrent le monde (éd.
PUR, 2013).
Le Mouvement de la gauche
révolutionnaire (MIR) est fondé en 1965, peu de temps après l’élection du
démocrate-chrétien Eduardo Frei Montalva à la présidence de la République du
Chili. Pourquoi est-il fondé à ce moment-là ?
Franck Gaudichaud – La naissance
du MIR en août 1965 est marquée par le contexte international. Toute une génération
latino-américaine est impactée par la révolution cubaine en particulier. Ces
jeunes rejettent la politique institutionnelle et parlementaire —y compris
celle de la gauche et du PC—, et se reconnaît dans cette nouvelle vague
révolutionnaire.
D’autre part, au niveau national,
on assiste à la recomposition de petites organisations révolutionnaires qui
tentent de se fédérer. Pour résumer, elles sont trotskistes, de dissidence
communiste, de dissidence socialiste, et anarchiste avec le dirigeant syndical
Clotario Blest. Après plusieurs tentatives avortées, elles convergent
finalement au sein du MIR. Il y avait aussi des chrétiens radicalisés, séduits
par cette gauche révolutionnaire.
La déception face aux réformes
d’Eduardo Frei, dont le slogan était « la révolution en liberté », y est-elle
pour quelque chose ?
Tout à fait. Les travaux
d’Eugenia Palieraki sur les origines du MIR montrent qu’une partie de la
jeunesse radicalisée veut aller au-delà de ces réformes. Ils cherchent une
perspective révolutionnaire, à une époque où des réformes du capitalisme sont
déjà en cours.
Quelle place le MIR occupe-t-il
au sein des différents partis de gauche existants, qui exercent leur hégémonie
sur le mouvement ouvrier ?
Le MIR naît à une époque de
recomposition et d’alliances à gauche, des Fronts populaires jusqu’à l’élection
d’Allende à la tête du gouvernement de l’Unité populaire, en passant par le
FRAP (Frente de Acción Popular), qui était un Front populaire électoral. Ces
coalitions se forment autour du PC et du PS, qui sont de grands partis ouvriers
marxistes, mais dont la perspective est légaliste et parlementaire.
Ces partis sont critiqués par des franges anticapitalistes radicalisées, qui considèrent qu’aucun changement révolutionnaire n’est possible par les élections, et qu’il faut donc adopter une perspective politico-militaire —l’influence cubaine est forte— et de destruction de l’État bourgeois, sans nier pour autant l’importance du travail syndical au sein du mouvement populaire.
Ces partis sont critiqués par des franges anticapitalistes radicalisées, qui considèrent qu’aucun changement révolutionnaire n’est possible par les élections, et qu’il faut donc adopter une perspective politico-militaire —l’influence cubaine est forte— et de destruction de l’État bourgeois, sans nier pour autant l’importance du travail syndical au sein du mouvement populaire.
D’emblée le MIR prône la lutte
armée ?
Oui, il l’affirme dès le congrès
de 1965, et le confirme lors du congrès de 1967. Ce sont ses fameuses « thèses
politico-militaires ». Mais à lire la déclaration de fondation du MIR, on décèle
surtout une influence trotskiste autour de Luis Vitale et d’Humberto
Valenzuela. On parle donc plutôt de « programme de transition », et d'« appui au
sein du mouvement de masse ». Sans nier pour autant l’importance de la violence
révolutionnaire. Ce n’est que dans un deuxième temps, à partir de 1967, quand
Miguel Enríquez prend la direction du mouvement, que l’aspect « guerre populaire
prolongée » devient un centre de la politique miriste.
Entre sa fondation en 1965 et l’élection de Salvador Allende en 1970, quelle a été la progression du MIR ?
Entre sa fondation en 1965 et l’élection de Salvador Allende en 1970, quelle a été la progression du MIR ?
Ce que reconnaîtra même le MIR
pendant l’Unité populaire (UP), en 1971-72, c’est que son influence va bien
au-delà de la réalité de l’organisation. C’est une organisation jeune, très
minoritaire, un parti de cadres révolutionnaires avec quelques milliers de « militants professionnels ». Ils restent minoritaires au sein du mouvement
ouvrier organisé, notamment à l’intérieur de la CUT (Centrale unique des
travailleurs) par exemple, même s’ils se développent clairement pendant l’Unité
populaire. En 1971-1972, le tournant ouvrier et syndical donne un écho
important au MIR, mais il éprouve tout de même de grandes difficultés à mordre
sur le mouvement ouvrier sous hégémonie du PC, du PS et du Parti démocrate-chrétien, qui reste la
troisième force syndicale du pays.
Quelle a été la position du MIR
par rapport à la candidature de Salvador Allende en 1970, et au gouvernement
d’Unité populaire ensuite ?
C’est l’épreuve de feu : cette
organisation révolutionnaire se trouve confrontée au défi de faire la
révolution, ce qui n’est pas peu, cinq ans après sa fondation : souvent les
organisations révolutionnaires parlent de révolution mais ne sont pas dans des
conjonctures propices pour mettre en pratique leur discours. Le MIR qualifie
l’époque de « prérévolutionnaire » en 1970. Dans un premier temps, il mesure très
mal la température politique puisqu’il appelle à l’abstention et déclare que
l’élection d’Allende est « hautement improbable ».
Quand Allende gagne l’élection, même s’il est minoritaire (il gagne avec 36,5% des voix, contre 35% pour le candidat de droite, dans une élection à un tour, ndlr), le MIR a l’intelligence de s’adapter à la période et de reconnaître le gouvernement comme un gouvernement « populaire, démocratique et anti-impérialiste ». Il soutient de manière critique les mesures gouvernementales les plus avancées, comme la nationalisation de la réserve de cuivre, de 90% du système bancaire et de nombreuses entreprises, la réforme agraire, ou encore l’augmentation considérable des salaires de base.