L’onze septembre signale un nouvel anniversaire du coup
d'État au Chili, ce jour funeste de 1973 quand les forces armées, entraînées
par un quarteron de généraux et d’officiers putschistes ont détourné contre le
peuple et les institutions les armes que le peuple leur avait confiées, et ont brisé
ainsi honteusement leur serment de défendre la Constitution, les symboles
nationaux et les lois. Le monde garde toujours une mémoire très vive du palais
du gouvernement bombardé, et du Président légitime de la République au milieu
de sa garde rapprochée, les armes à la main, résistant aux assauts des
putschistes.
Désarmées et désorganisées, confiantes pour la plupart
jusqu’à la fin dans une prétendue loyauté des militaires chiliens, les forces
politiques qui ont soutenu Allende ont été décimées : les putschistes ont
contrôlé rapidement tout le territoire national et écrasé toute possibilité de
riposte avec un déploiement implacable de forces et de moyens.
Le rôle primordial du département d'État nord-américain dans
le processus de déstabilisation politique et économique du Chili, —notamment de
l’administration Nixon et de M. Henry Kissinger à travers l’agence du renseignement
étasunienne—, ainsi que son soutien au régime de Pinochet ont été largement
établis et documentés par différentes enquêtes parlementaires.
À plus de 4 décennies de cette date néfaste, la bataille
héroïque de « La Moneda » et quelques combats isolés, des gestes
dérisoires qui ont été les premiers actions de résistance à la dictature,
demeurent dans le temps et l’histoire et accroissent la stature des
patriotes chiliens morts en défense de la République et la démocratie.
Figure emblématique de la longue nuit du Chili, le général
félon Augusto Pinochet a symbolisé dès le 11/9 l’archétype du despote ignare et
brutal, cruel et dénué de scrupules. Il a été l’un des spécimens les plus
caractérisés du dictateur, qui détient —même après sa mort— une place paradigmatique
dans l'histoire contemporaine et parmi les tyrans de l'Amérique latine, un sous-continent très fourni en tyrans.
La longue dictature a provoqué des milliers de morts et des milliers d’expatriés, mais aussi l'avilissement durable des forces armées de la nation, coupables de crimes abjects qui ont creusé un abîme insurmontable entre les bourreaux et la population. En établissant la torture systématique et le meurtre de masse comme arme politique contre les opposants, la tyrannie de Pinochet a instauré la terreur au Chili et a fait du pays l’emblème universel de la barbarie.
Les atrocités de la dictature militaire ont aussi attiré
l’attention de l’opinion publique mondiale autour du thème des droits de
l’homme, et ont fait paradoxalement avancer le droit international. En effet,
suite aux épouvantables expériences du Chili et d’autres pays d’Amérique latine
qui ont subi depuis les années 70 des cruelles dictatures, une conscience plus aigüe
autour des exactions aux droits fondamentaux s’est éveillée de par le monde.
Les miradors et les barbelés, les camps de concentration
pour prisonniers politiques érigés tout au long du pays, ainsi que les
chambres de tortures où des milliers de personnes, hommes et femmes de tous
âges ont été méthodiquement soumis à des supplices abominables, souvent jusqu’à
l’extermination, auront servi finalement à installer au Chili un nouvel ordre
politique et économique. Par la force, sous la cravache militaire et sans
contrepoids ni contestation, une véritable mutation néo libérale a été opérée
en 17 ans de dictature.
Depuis 25 ans les militaires sont apparemment de retour dans
leurs casernes et la démocratie est rétablie au Chili. L’ancien dictateur est
décédé de sa belle mort, sans avoir été vraiment inquiété par la justice.
Quelques responsables d’atrocités et de tueries massives purgent des longues
peines dans leur exclusive prison 5 étoiles.
Avec la perpétuation du modèle économique qu’elle a voulu et définitivement imposé au pays, le véritable triomphe de la dictature c’est la Constitution politique de 1980. Rédigée à la mesure du dictateur par des idéologues de l’extrême Droite nationale, validée par un plébiscite convoqué pendant la terreur et sous l’état de siège, cette charte fondamentale croupion régit la vie politique chilienne depuis 35 ans.
Divers toilettages et amendements lui ont été pratiqués par les gouvernements civils successifs, notamment la suppression des sénateurs désignés et la reforme du mode de scrutin inéquitable. Mais le fait qu’une telle constitution illégitime soit toujours en vigueur, et qu’elle prolonge l’héritage politique de Pinochet, signifie une insulte pour ses milliers de victimes, un affront fait aux démocrates du Chili et d’ailleurs qui se sont battus pour débarrasser le pays du triste legs de la dictature.
D’autre part, les faits signalent
que l’emprise des militaires sur la vie publique reste significative, leur
puissance politique indéniable. Hormis leurs traitements juteux et les prébendes
accordées à leurs fonctions, les militaires perçoivent d'importants revenus
publiques en provenance de l’exploitation et l’exportation du cuivre —la
première richesse minière nationale, appelé le salaire du Chili—, et Ils ont
gardé aussi la haute main et l’exclusivité sur diverses affaires immobilières
et l’export lié aux industries militaires.
Le général Humberto Oviedo, commandant en chef de l’armée, devant la commission de défense de la Chambre des Députés : « laissez-nous évaluer nous-mêmes les questionnements que la société nous pose ». |
La « famille militaire »
agit comme un puissant lobby d’anciens officiers et militaires actifs, enkystés à plusieurs échelons de la vie institutionnelle et économique,
ainsi qu’à l’église, qui œuvrent plus ou
moins discrètement pour arrêter les procès contre les militaires responsables
d'atrocités, et pour libérer à terme les anciens officiers condamnés pour crimes
d'opposants à Pinochet.
Les récentes déclarations du
général Humberto Oviedo, commandant en chef de l’armée, devant la Commission de
défense de la Chambre de Députés, montrent une curieuse conception du
commandement militaire vis-à-vis du monde civil et citoyen.
Consulté sur divers thèmes touchant aux pratiques de l’armée de garder dans ses effectifs des criminels aux droits de l’homme, et de ne pas se séparer des symboles fortement associés à la répression politique —notamment la photo du chef de la DINA, symbole de la violence politique récemment décédé—, le général Humberto Oviedo a réclamé le droit de l’armée à décider en toute autonomie de sa conduite.
« Laissez-nous évaluer nous-mêmes les questionnements que la société nous pose ».
Consulté sur divers thèmes touchant aux pratiques de l’armée de garder dans ses effectifs des criminels aux droits de l’homme, et de ne pas se séparer des symboles fortement associés à la répression politique —notamment la photo du chef de la DINA, symbole de la violence politique récemment décédé—, le général Humberto Oviedo a réclamé le droit de l’armée à décider en toute autonomie de sa conduite.
« Laissez-nous évaluer nous-mêmes les questionnements que la société nous pose ».
Cette réponse dévoile un état d'esprit et une attitude
courante dans les milieux militaires, qui se perçoivent eux-mêmes comme une
caste à part, un espace clos, en tout cas étranger aux regards et aux décisions
des politiques et des citoyens.
Le général Oviedo s’est vu
répondre par le président de la commission de Défense, que « ce qu'est bon pour
l'Armée le détermine non pas l'Armée toute seule, mais toute la société…».