Le 31 décembre 2015, le juge de la cour d'Appel de Santiago en charge des dossiers pour
violations aux droits de l'homme a accusé Orlando Carter Cuadra, général
de l'armée à la retraite, comme auteur des homicides de Bautista van
Schouwen Vasey et Patricio Munita Castillo, commis à Santiago en
décembre 1973.
L'enquête a
établi que Bautista van Schouwen Vasey et Patricio Munita Castillo, des
militants du Mouvement de gauche révolutionnaire (MIR), étaient
intensément recherchés depuis le 11 septembre 1973 par les militaires qui ont
pris le pouvoir en renversant violemment le gouvernement constitutionnel de Salvador Allende. La dictature pourchassait particulièrement Bautista von
Schouwen, l’un des fondateurs et dirigeant historique du MIR, et
avait même offert une forte récompense en argent pour sa capture.
Les deux militants en fuite se sont réfugiés à la paroisse San Antonio de Padoue, de la congrégation des moines Capucins, à la rue Cathédrale de Santiago, et ils y ont été arrêtés le 13 décembre 1973 par des agents en civil armés, appuyés par la police. Ils sont été ensuite conduits vers une destination inconnue dans un bus de la police et depuis, personne ne les a plus revus vivants.
Le matin du 14
décembre 1973 le lieutenant Orlando Carter Cuadra, à la tête d'une
patrouille militaire a exécuté les deux prisonniers, au carrefour des avenues
Quilín et Américo Vespucio —jonction routière en périphérie sud-ouest à Santiago, tronçon alors peu fréquenté—, et a
délaissé les cadavres sur place, sans en rendre compte à sa hiérarchie.
Affiche de 1973 appelant à sauver la vie de Bautista van Schowen, arrêté et assassiné par la dictature, édité en France, s/d. Photo Jean-Noël Dard. |
Les corps ont
été levés par d’autres militaires et enterrés sous X à la cour 29 du cimetière
général. Comme tant d’autres morts de la sanglante répression politique au
Chili, ces deux morts ont « disparu »
jusqu'à ce qu’on retrouve leurs traces en 1991, après des années d’enquêtes.
L’ex général de
brigade, inculpé des meurtres du docteur Bautista
van Schouwen, dirigeant du MIR, et de son escorte, n'avait jamais été arrêté ni mis en examen. Diplômé de
l'« école des Amériques » en 1970, Carter était en 1973
lieutenant à « Tejas Verdes », la caserne d'ingénieurs
militaires près de San Antonio, lieu de détention et de tortures
considéré le berceau de la DINA, la police secrète mise en place par Manuel
Contreras sur ordre de Pinochet. Orlando Carter était aussi
parmi les officiers détachés pour étouffer toute résistance à Santiago au
moment du putsch militaire.
Gendre du
général Manuel Contreras —le fondateur et directeur de la Dina, mort en août 2015—, il a commandé
ensuite le régiment « Atacama » de Chuquicamata en début
des années 90, sous la présidence de Patricio Alwyn.
En 1995,
l’armée chilienne a vendu au Mexique un système de simulation destiné à
l’entraînement militaire, une application qui élaborait des « jeux de
guerre » pour tester sur écran des stratégies sur
différents théâtres d’opérations. Spécialement adapté aux conditions
géographiques de Chiapas, ce programme était évidemment destiné à la
formation des militaires mexicains au combat anti-insurrectionnel contre l’« 'Armée
de libération Zapatiste », la guérilla menée au sud du Mexique par
le sous-commandant Marcos depuis janvier 1994.
Orlando Carter Cuadra, ancien de « Tejas Verdes », marié à la fille aînée du général Manuel Contreras. Comme beaucoup d’officiers responsables d’atrocités, il a continué sa carrière militaire longtemps après la dictature sans être inquiété par la justice. |
Il a été
attaché militaire à l'ambassade du Chili en Israël, puis promu général sous
l’administration d'Eduardo Frei (1994 – 2000). Carter a été par
la suite directeur du musée historique et militaire, et au moment de sa mise à
la retraite forcée en 2011 —en raison de sa participation à la répression
pendant la dictature—, il servait au ministère de la défense.
L’armée a
toujours nié les arrestations et a fait systématiquement entrave à la justice,
multipliant longtemps les démentis et les déclarations contradictoires. Face
aux multiples demandes venues des organismes internationaux de justice et
droits de l’homme, la dictature avait même informé que Bautista van Schouwen
avait quitté le Chili avant le coup d’état.
Si elle permet d’établir
des responsabilités et de formuler des accusations, la version de l’exécution
sommaire des deux victimes ne semble pas la plus plausible. En effet, des
dépositions de témoins et divers éléments de l’enquête montrent que les
jeunes ont été conduits dans un lieu de détention secret —probablement la
« Villa Grimaldi » —, et atrocement torturés pendant près de
24 heures. On leur a infligé des multiples brûlures et des coups épouvantables, ils
ont eu les os des bras et la mâchoire brisés. Et ce n’est qu’après de longues
heures de supplice, une fois qu’ils ont compris que par la torture brutale ils
n’obtiendraient pas d’informations, que les militaires ont décidé de les
achever.
Chirurgien neurologue, membre du comité central du MIR et ancien directeur
d’« El Rebelde », le journal du mouvement, Bautista
van Schouwen est apparu dès le jour du putsch sur la liste des 10
hommes les plus recherchés par les militaires. Avec Miguel Enríquez,
leader du MIR et les dirigeants des partis de gauche mis hors la loi par
Pinochet, ils ont été traqués sans pitié par les appareils de sécurité
militaire, au Chili et au delà des frontières. Patricio Munita Castillo,
célibataire, jeune militant étudiant en Droit, était le garde
du corps de Bautista van Schouwen et il est mort à 22 ans. Très aimé et
respecté des militants, Bautista van Schouwen est mort à 30
ans, laissant une femme et son petit enfant Pablo.