Roberto Parada dans le
rôle du vieux philosophe grec dans l’« Apologie
de Socrate », monologue qu’il a mis en scène depuis 1979 avec sa
femme
María Maluenda. Photo Hildegund
Ruge.
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Roberto Parada, comédien classique chilien
décédé à Moscou en novembre 1986, l'une des grandes figures de la scène nationale
et très aimé du public, a interprété les rôles les plus complexes du théâtre classique
et contemporain, tout au long d’une riche carrière qui a couvert quelques
décennies.
Grand et imposant, comme sorti d'une
pièce de Shakespeare et doté d’une voix remarquable d’un majestueux timbre
grave, on lui attribuait au théâtre les rôles impériaux, d'autorité : des
gouverneurs, des monarques, des capitaines. Il a aussi incarné pour le cinéma
son ami Pablo Neruda, le grand poète et politique chilien, prix Nobel de
littérature en 1971.
Mémorables sont ses personnifications du « Commandeur » dans « Fuenteovejuna »,
le classique espagnol de Lope de Vega, ainsi que le rôle titre dans « Le domestique », d’Harold Pinter. Peu
diffusées et très appréciées sont ses récitations des poèmes de Neruda, de César
Vallejo, Nicolás Guillén et d'autres écrivains contemporains, ou encore ses déclamations
des auteurs du « siècle d'Or » espagnol, gardées aujourd’hui dans des
enregistrements.
En 1923, alors que la jeunesse au Chili se
levait contre la dictature, à l’institut Pédagogique de l’université Roberto
Parada a été dirigeant de la Fech, le syndicat national des étudiants qui a
participé en 1931 au renversement du dictateur Carlos Ibáñez del Campo et à
l'établissement de la fugace République Socialiste chilienne, en juin 1932.
Roberto Parada, jeune
comédien en 1955.
Photo : Alfredo Molina La Hitte.
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Auprès de Pedro de la Barra et un groupe
d’auteurs et comédiens, il a intégré en 1941 le Théâtre Expérimental de
l'Université du Chili, la bande qu’a rénové radicalement styles et répertoires
de la scène et ouvert une ère nouvelle pour le spectacle théâtral chilien. Une
douzaine de jeunes comédiens et dramaturges composaient ce mouvement expérimental,
un des piliers de la révolution culturelle du Chili dans les années 40. Parmi
eux, María Maluenda, une jeune actrice et militante communiste, que Roberto
Parada a épousée en 1946.
Pendant les années de la deuxième guerre
mondiale, le couple de comédiens Parada - Maluenda a travaillé à Londres pour
la BBC. Roberto Parada a eu le rôle de Sancho Panza pour le radio-théâtre du « Don Quixote », diffusé sur les ondes pendant des mois
depuis Londres, et il a enrichi ce personnage populaire de ses expériences
auprès des paysans chiliens.
Il a aussi joué avec Héctor
Duvauchelle —autre exceptionnel
comédien, militant de gauche et opposant à la dictature assassiné en exil au
Venezuela en 1983—, « L'opéra
de 3 centimes » de Bertolt Brecht.
Comme beaucoup de comédiens, Roberto
Parada a exercé un autre métier en parallèle à la scène. Il était professeur
d’Anglais à l'Institut national de Santiago et selon des témoignages d’anciens
élèves, sa haute voix de stentor résonnait même dans la cour du lycée et on
pouvait l'entendre de loin récitant à ses élèves Longfellow ou
Allan Poe : il avait gardé de sa scène de la veille l'accent dramatique
des tirades.
Il a été le narrateur de « La
forge », œuvre des Quilapayún créée en 1973, et il a participé aussi au
disque de poésie de Fernando Alegría « Viva Chile, mierda... ».
En 1978, en pleine dictature militaire de Pinochet, Parada a enregistré avec
l’ensemble « Ortiga » et le chœur de Waldo Aránguiz la « Cantate des Droits de l'homme : Caïn et
Abel », œuvre musicale d’Alejandro Guarello et livret du prêtre Esteban
Gumucio ss cc. Présentée à la cathédrale de Santiago lors d’une grande
conférence internationale des Droits de l'homme organisée par l'église de
Santiago et le cardinal Raúl Silva Henríquez, sous l’état de siège imposé par le
sanglant régime chilien, cette pièce a eu un singulier retentissement.
Militant communiste depuis sa jeunesse,
Parada a été un imposant et solennel maître de cérémonies des actes publics du
parti. Et pendant les récitals de Neruda des années 70, une troïka composée du poète,
Roberto Parada et sa femme María Maluenda récitait les textes du poète avec une
puissante éloquence. Lorsque Pablo Neruda a présenté à la
« Chascona » —sa maison
sur le versant du San Cristóbal, la colline du nord de Santiago—, sa pièce théâtralisée « L'épée allumée »,
le trio lecteur est parfois devenu quartet quand le fils du couple, José Manuel
Parada Maluenda, s'y est joint.
Roberto avait une ressemblance physique
avec Neruda, et quand Antonio Skármeta a réalisé un film sur le poète, il n'a
pas hésité à charger Roberto Parada du rôle. « Ardente patience » a
été tourné en 1983 à la plage de Murtinheira, sur la côte sud du Portugal, où l’océan
ressemble aussi à l’Isla Negra et au Pacifique, et où le crépuscule « arrive
du bon côté », selon l’a raconté Skármeta.
Pendant une représentation à Santiago en
mars 1985, on lui a communiqué que son fils José Manuel Parada avait été retrouvé mort
avec deux autres communistes, Manuel Guerrero et Santiago Nattino. Séquestrés par des
sbires de la police plusieurs heures auparavant, les 3 militants ont été
découverts dans une route isolée, attachés, torturés, égorgés par
un poignard militaire.
Le meurtre abject de son fils aux mains
des sicaires de la dictature n’était pas seulement en représailles au travail
de José Manuel Parada au « Vicariat de la Solidarité », mais aussi la
cruelle vengeance de Pinochet contre Roberto Parada et son épouse, la
comédienne María Maluenda, une famille d’artistes de gauche qui avait lutté constamment
pour le retour du Chili à la démocratie.
Lorsque la longue nuit de la dictature
militaire s'est abattue sur le Chili, Roberto Parada et María Maluenda se sont
arrangés pour invoquer sur scène les valeurs bafouées de la liberté et la démocratie,
bravant la répression déchainée contre les opposants et particulièrement contre
les milieux de la culture. Ils sont allés puiser dans l’antiquité classique l’« Apologie
de Socrate », et du procès fait au philosophe plus de deux mille ans auparavant,
ils ont extrait du plaidoyer face aux juges et la cité athénienne —avec une fidélité stricte au texte
original—, la
défense des droits basiques du citoyen, au regard des droits de l'homme au
Chili au seuil des années 2000.
Roberto Parada a incarné Socrate dans beaucoup de salles, dans diverses villes et petits villages,
et même dans des foyers des simples gens, juste comme quelqu’un qui discute,
qui exprime ses principes et défend ses points de vue et son droit au dialogue. Cette initiative habile et courageuse —saluée par les gens de théâtre et les
démocrates du monde—, alors
qu’au Chili le fanatisme sauvage anéantissait les différences par la violence
et la mort, pointait la majesté de la raison et constituait une forte critique morale
à la barbarie militaire.
Suite à l’assassinat de son fils, Roberto
Parada a tenu 14 mois sur scène. Une hémorragie cérébrale l'a partiellement
immobilisé le 17 mai 1986. Quelques mois après il est sorti du pays à la
recherche d'un traitement médical, et il s’est éteint à Moscou le 19 novembre
1986.
Sa dépouille a été rapatriée au Chili et
des milliers de personnes se sont pressés près du cercueil lors de son enterrement.
Des artistes, des écrivains et des dramaturges ont salué avec grande émotion sa
mémoire. Un lien très solide l'a lié aux spectateurs et aussi à son peuple, qui
l’a très fièrement reconnu toujours comme l'un des siens. Le grand artiste
classique de vaste répertoire, l'homme qui d’une voix puissante chantait des
vieux blues, des couplets de la guerre d'Espagne et des hymnes révolutionnaires
reste pour toujours dans l'histoire du théâtre chilien et parmi les combattants
pour la démocratie.