mardi 29 septembre 2015

Lucía Hiriart, la veuve du général Pinochet dans un film sur les femmes des tyrans

Lucía Hiriart de Pinochet, frivole et ambitieuse, a exercé un pouvoir certain aux côtés du dictateur Pinochet, son mari. Fidèle de Manuel Contreras, le chef de la répression responsable de milliers de morts à la tête de la DINA, elle l’a soutenu lorsque Pinochet l’a lâché en 1976. Comme tous les membres du clan, madame Pinochet s’est abondamment servie dans les caisses publiques pendant les 17 ans qu’elle a été la « première dame » du Chili.

Lucía Hiriart de Pinochet, 92 ans, la veuve de l’ancien dictateur du Chili Augusto Pinochet, se retrouve aux côtés d’Imelda Marcos, de Suzanne Moubarak, d’Elena Ceausescu, de Leila Ben Ali et plusieurs autres femmes de dictateurs dans un film documentaire diffusé à la télévision française depuis le 20 septembre 2015.

Après cinq ans d'enquête sur une trentaine de femmes de dictateurs et 2 ans de tournage, le réalisateur français Joël Soler montre une série documentaire de cinq chapitres intitulée « Despot Housewives ». En mettant en lumière l’attitude et les agissements des femmes des tyrans les plus célèbres du XXème siècle, le réalisateur s'est penché sur une face mal connue des dictatures, le rôle de ces femmes dans la terreur. Ce dernier travail de Joël Soler continue ses reportages sur Adolphe Hitler, sur Saddam Hussein et d’un troisième sur Ben Laden.
« Despot Housewives », diffusée sur la chaîne thématique
française « Planète » à partir du 20 septembre 2015.


Soutiens, complices, ou naïves accompagnatrices, certaines ont participé directement à la répression, en occupant des fonctions officielles au sein du régime, et d'autres ont joué un rôle plus diffus, mais tout aussi lourd de conséquences par leur position de « premières dames ».

Parmi elles Leila Ben Ali, surnommée « la Régente », dont la famille, décrite comme une « petite mafia », le clan Trabelsi, avait la main sur la quasi totalité des investissements en Tunisie, ou encore Imelda Marcos, veuve du dictateur Ferdinand Marcos, qui aux côtés de son mari a pillé les Philippines pendant plus de 20 ans.

Toutes ces femmes rencontrées par Joël Soler citent comme référence Mère Teresa, dont elles disent avoir voulu imiter l'action. Autre point commun, le sentiment d'être en paix avec leur conscience. Aucun remord d'avoir participé activement ou soutenu des dictatures, pas de regrets malgré leur responsabilité pénale ou morale. Certaines ont également un regard tristement cynique sur leur vie passée et ne cachent pas regretter ces années où leur vie était facilitée par la terreur qu’elles ou leurs maris faisaient régner dans leurs pays. Pas plus de culpabilité chez l'épouse du général Pinochet qui considère son époux comme un héros.

« Pinochet a été mis en place par la CIA, les Reagan et la Maison-Blanche déroulaient le tapis rouge aux Pinochet, Margaret Thatcher a dit jusqu'à sa mort que c'est lui qui a amené la démocratie au Chili. Comment voulez-vous qu'elle voit son mari comme un dictateur ? »
 Joël Soler


Lucía Hiriart fut l’épouse d’Augusto Pinochet, le général qui pendant 17 ans a exercé le pouvoir par la terreur au Chili : 3 200 morts et disparus documentés sous sa dictature, et plus de 38 000 torturés entre 1973 à 1990.

Imelda Marcos, l'épouse du dictateur des Philippines Ferdinand Marcos, le dictateur chilien Augusto Pinochet et son épouse Lucía Hiriart, à l'esplanade de la place d'Orient, à Madrid, invités aux funérailles du despote espagnol Francisco Franco, le 23 novembre 1975. Photo agence Efe.

Cassante et implacable, arbitraire et très peu compatissante avec les victimes de la dictature, madame Pinochet est connue aussi par sa frivolité, son goût pour les chapeaux et des vêtements de marque, ainsi que les décors surchargés dans ses nombreuses demeures.

Empêchée elle-même de se déplacer à l’étranger —vue la possibilité de se faire arrêter aux frontières en raison des enquêtes visant dans plusieurs pays l’entourage du dictateur— madame Pinochet avait l’habitude de commander de la haute couture et des accessoires dans les principales villes d’Europe, et ses coûteuses acquisitions étaient ensuite expédiées par les valises diplomatiques depuis les différentes ambassades chiliennes. Sa collection de bijoux a augmenté aussi considérablement sous le règne de son mari, et elle avait un maquilleur, un coiffeur et un photographe personnel.

Pendant la période où la Junte militaire a eu son siège dans le bâtiment « Diego Portales », de 1973 à 1981, Lucía Hiriart était installée au 17ème étage, assistée d’un staff de vingt personnes. Elle était alors à la tête de CEMA Chili, un vaste réseau associatif de femmes bénévoles s’occupant d’œuvres de bienfaisance pour les nécessiteux, et qui gérait aussi plusieurs points de vente d’artisanat au Chili. Des subventions et divers ressources alloués au réseau ont été systématiquement détournés et ont finalement atterri dans les poches de Lucía Hiriart et ses proches, comme l’ont établi des enquêtes postérieures.

En 2005, dans le cadre du « dossier Riggs », le Trésor publique chilien a porté plainte contre madame Pinochet pour complicité d'évasion fiscale pour un montant de 2,35 millions de dollars, et elle a été en prison préventive pendant une journée, mais le tribunal a abandonné les charges en janvier 2007.

Le 4 octobre 2007, un juge spécial a prononcé la mise en examen et l’arrestation de Mme Lucía Hiriart, de ses cinq enfants et 17 autres personnes, pour détournement de fonds publics. Opportunément admise à l’hôpital militaire pour une soudaine affection la veuve du dictateur a échappé encore à la prison.

Le général Augusto Pinochet et sa femme Lucía Hiriart au stade de la ville de Talca en 1988. Le dictateur faisait alors campagne pour remporter le plébiscite et prolonger indéfiniment sa mainmise sur le Chili. Photo Susan Meiselas, Magnum.

Aujourd’hui, les anciennes loyautés du temps de la dictature militaire se sont considérablement distendues et la droite chilienne s'est clairement démarquée de la famille Pinochet. Seuls ses enfants et un réduit noyau d’irréductibles, anciens gradés ultra fanatiques de l’ancien dictateur rendent visite à la veuve, qui n’a plus de suite ni staff, et traîne seule dans sa luxueuse maison de trois mille mètres carrés, dans l'un des quartiers les plus chers du Chili. Mme Lucía Hiriart et le clan Pinochet espèrent récupérer les 25 propriétés qui leur ont été saisies dans les différents dossiers fiscaux et juridiques instruits contre eux. Mais même si ce n’est pas le cas, cette famille et ses héritiers ne vivront jamais dans la pauvreté.