jeudi 31 décembre 2015

Bautista van Schouwen, dirigeant du MIR tué en 1973 : un ancien général rattrapé par la justice


Bautista van Schowen et Inés Enríquez, sœur de Miguel, avec Alejandra Pizarro et Miguel Enríquez, lors de leurs mariages simultanés en 1968. Ayant fait leurs études ensemble, tous deux médecins et beaux-frères, Bautista et Miguel étaient très proches, et ont œuvré aussi ensemble à la fondation du Mouvement de gauche révolutionnaire, MIR. Suite au coup d’état de 1973 leur parti est devenu la bête noire de la dictature, qui a éliminé sans pitié ses dirigeants, cadres et militants.




Le 31 décembre 2015, le juge de la cour d'Appel de Santiago en charge des dossiers pour violations aux droits de l'homme a accusé Orlando Carter Cuadra, général de l'armée à la retraite, comme auteur des homicides de Bautista van Schouwen Vasey et Patricio Munita Castillo, commis à Santiago en décembre 1973.

L'enquête a établi que Bautista van Schouwen Vasey et Patricio Munita Castillo, des militants du Mouvement de gauche révolutionnaire (MIR), étaient intensément recherchés depuis le 11 septembre 1973 par les militaires qui ont pris le pouvoir en renversant violemment le gouvernement constitutionnel de Salvador Allende. La dictature pourchassait particulièrement Bautista von Schouwen, l’un des fondateurs et dirigeant historique du MIR, et avait même offert une forte récompense en argent pour sa capture.

Affiche en néerlandais pour la vie et la liberté du docteur Bautista van Schowen et plusieurs autres militants de gauche résistants à la dictature, tombés dans les razzias de la police secrète chilienne. Édité en Hollande, février 1974.

Les deux militants en fuite se sont réfugiés à la paroisse San Antonio de Padoue, de la congrégation des moines Capucins, à la rue Cathédrale de Santiago, et ils y ont été arrêtés le 13 décembre 1973 par des agents en civil armés, appuyés par la police. Ils sont été ensuite conduits vers une destination inconnue dans un bus de la police et depuis, personne ne les a plus revus vivants.

Le matin du 14 décembre 1973 le lieutenant Orlando Carter Cuadra, à la tête d'une patrouille militaire a exécuté les deux prisonniers, au carrefour des avenues Quilín et Américo Vespucio —jonction routière en périphérie sud-ouest à Santiago,  tronçon alors peu fréquenté—, et a délaissé les cadavres sur place, sans en rendre compte à sa hiérarchie.

Affiche de 1973 appelant à sauver la vie de Bautista van Schowen,
arrêté et assassiné par la dictature, édité en France, s/d. Photo
Jean-Noël Dard.
Les corps ont été levés par d’autres militaires et enterrés sous X à la cour 29 du cimetière général. Comme tant d’autres morts de la sanglante répression politique au Chili, ces deux morts ont « disparu » jusqu'à ce qu’on retrouve leurs traces en 1991, après des années d’enquêtes.

L’ex général de brigade, inculpé des meurtres du docteur Bautista van Schouwen, dirigeant du MIR, et de son escorte, n'avait jamais été arrêté ni mis en examen. Diplômé de l'« école des Amériques » en 1970, Carter était en 1973 lieutenant à « Tejas Verdes », la caserne d'ingénieurs militaires près de San Antonio, lieu de détention et de tortures considéré le berceau de la DINA, la police secrète mise en place par Manuel Contreras sur ordre de Pinochet. Orlando Carter était aussi parmi les officiers détachés pour étouffer toute résistance à Santiago au moment du putsch militaire.

Gendre du général Manuel Contreras —le fondateur et directeur de la Dina, mort en août 2015—, il a commandé ensuite le régiment « Atacama » de Chuquicamata en début des années 90, sous la présidence de Patricio Alwyn.

En 1995, l’armée chilienne a vendu au Mexique un système de simulation destiné à l’entraînement militaire, une application qui élaborait des « jeux de guerre » pour tester sur écran des stratégies sur différents théâtres d’opérations. Spécialement adapté aux conditions géographiques de Chiapas, ce programme était évidemment destiné à la formation des militaires mexicains au combat anti-insurrectionnel contre l’« 'Armée de libération Zapatiste », la guérilla menée au sud du Mexique par le sous-commandant Marcos depuis janvier 1994.

Orlando Carter Cuadra, ancien de « Tejas Verdes », marié à la fille
aînée du général Manuel Contreras. Comme beaucoup d’officiers
responsables d’atrocités, il a continué sa carrière militaire longtemps
après la dictature sans être inquiété par la justice.

Ingénieur militaire de formation, proche des projets développés par l’armée à l’« Académie de guerre », Orlando Carter Cuadra était l'un des officiers chiliens parti au Mexique pour installer le système et en enseigner l’usage à ses homologues mexicains. Des organisations politiques et des droits de l'homme locales ont dénoncé la présence du militaire, alors colonel attaché à l'ambassade du Chili au Mexique, accusé de conseiller l’armée mexicaine dans le combat contre la guérilla zapatiste. Le ministère des affaires étrangères du Chili a dû intervenir pour démentir le caractère stratégique des fonctions d’Orlando Carter au Mexique.

Il a été attaché militaire à l'ambassade du Chili en Israël, puis promu général sous l’administration d'Eduardo Frei (1994 – 2000). Carter a été par la suite directeur du musée historique et militaire, et au moment de sa mise à la retraite forcée en 2011 —en raison de sa participation à la répression pendant la dictature—, il servait au ministère de la défense.

L’armée a toujours nié les arrestations et a fait systématiquement entrave à la justice, multipliant longtemps les démentis et les déclarations contradictoires. Face aux multiples demandes venues des organismes internationaux de justice et droits de l’homme, la dictature avait même informé que Bautista van Schouwen avait quitté le Chili avant le coup d’état.

Patricio Munita Castillo, jeune étudiant de Droit de 22 ans,
militant du MIR et garde du corps de Bautista van Schouwen,
capturé avec lui le 13 décembre 1973 et cruellement assassiné
par les militaires.

Si elle permet d’établir des responsabilités et de formuler des accusations, la version de l’exécution sommaire des deux victimes ne semble pas la plus plausible. En effet, des dépositions de témoins et divers éléments de l’enquête montrent que les jeunes ont été conduits dans un lieu de détention secret —probablement la « Villa Grimaldi » —, et atrocement torturés pendant près de 24 heures. On leur a infligé des multiples brûlures et des coups épouvantables, ils ont eu les os des bras et la mâchoire brisés. Et ce n’est qu’après de longues heures de supplice, une fois qu’ils ont compris que par la torture brutale ils n’obtiendraient pas d’informations, que les militaires ont décidé de les achever.

Chirurgien neurologue, membre du comité central du MIR et ancien directeur d’« El Rebelde », le journal du mouvement, Bautista van Schouwen est apparu dès le jour du putsch sur la liste des 10 hommes les plus recherchés par les militaires. Avec Miguel Enríquez, leader du MIR et les dirigeants des partis de gauche mis hors la loi par Pinochet, ils ont été traqués sans pitié par les appareils de sécurité militaire, au Chili et au delà des frontières. Patricio Munita Castillo, célibataire, jeune militant étudiant en Droit, était le garde du corps de Bautista van Schouwen et il est mort à 22 ans. Très aimé et respecté des militants, Bautista van Schouwen est mort à 30 ans, laissant une femme et son petit enfant Pablo.





lundi 28 décembre 2015

Luis Ramírez Pineda, ancien général de l’armée chilienne condamné à 18 ans de prison

Luis Ramírez Pineda, lieutenant colonel en septembre 1973,
cité en plusieurs dossiers judiciaires pour des assassinats de
sang froid qu’il a ordonnés à la troupe.
Une juge de la Cour d’appel chilienne a condamné le 22 décembre 2015 l’ancien général Luis Ramírez Pineda à 18 ans de prison pour les homicides de Wagner Salinas Muñoz et de Francisco Lara Ruiz, deux escortes du président Salvador Allende tués en octobre 1973.

Wagner Salinas Muñoz et Francisco Lara Ruiz appartenaient au groupement de protection de la Présidence du Chili, le « Gap », chargé de la garde rapprochée du Président Salvador Allende. Le jour du putsch militaire ils se trouvaient à la ville de Talca, au sud de Santiago, et alertés des événements ils ont rapidement tenté de regagner la capitale. Interceptés par un barrage policier sur l’autoroute panaméricaine, à la sortie de la ville de Curicó, ils ont été mis en prison puis livrés aux militaires qui les ont conduits finalement au régiment « Tacna », site où ils ont été tués le 5 octobre 1973 après des cruelles séances de torture.

L’enquête a établi que Luis Ramírez Pineda, alors lieutenant colonel de l'armée de terre, a ordonné au capitaine Luis Guillermo Mena de fusiller les deux prisonniers, en lui remettant même les cartes d’identité de Wagner Salinas Muñoz, de 29 ans, et de Francisco Lara Ruiz, de 22 ans. Wagner Salinas Muñoz avait été un remarquable boxeur amateur, plusieurs fois champion national et sud-américain des poids lourds.
Le régiment d’artillerie N° 1 « Tacna ». Dès le jour
du putsch militaire des nombreux prisonniers y ont
été enfermés, torturés et tués para la soldatesque
sous commandement de Luis Ramírez Pineda.

Au moment du sanglant coup militaire du 11 septembre 1973, Luis Ramírez Pineda était le commandant du régiment N° 1 « Tacna », importante unité d’artillerie de Santiago qui a participé très activement du dispositif militaire qui a occupé la ville. Suite au siège et aux frappes aériennes lancées sur le palais de « La Moneda », des troupes d'assaut de l’infanterie ont capturé une cinquantaine de personnes, parmi eux des conseillers, des médecins et des membres de la garde du Président Salvador Allende. Ils ont été pour la plupart conduits à la caserne « Tacna », et sommairement exécutés deux jours après.

Luis Ramírez Pineda était attaché militaire en Argentine en 1974 —quand ont eu lieu les crimes du général Carlos Prats et de son épouse—, et il avait été interrogé par la justice argentine lors de l’enquête pour ces meurtres, perpétrés par la Dina le 30 septembre 1974. Il a été ensuite chef de l'état major de la Défense nationale entre les années 1978 et 1981, un très proche collaborateur du dictateur Pinochet.

Ramírez Pineda avait été arrêté en septembre 2002 à Buenos Aires, puis extradé au Chili en 2003 suite au mandat d’arrêt international émis par le juge français Roger Le Loire pour l’enlèvement et la mort du citoyen français Georges Klein Pipper, médecin et assistant du président Allende séquestré avec d'autres conseillers de la présidence le 11 septembre 1973, et fusillé deux jours après par des militaires aux ordres de Ramírez Pineda.

Cette procédure judiciaire —initiée par les familles de neuf victimes françaises contre une quinzaine d’officiers chiliens accusés d’arrestations ou détentions arbitraires, avec torture ou actes de barbarie suivis de mort—, avait conduit aux condamnations par contumace de 13 militaires qui ont participé à la répression sous la dictature chilienne. De longues peines, dont une de prison à vie contre le général Manuel Contreras, l'ex-chef de la Dina, ont été prononcées à Paris le 17 décembre 2010. Le général Luis Ramírez Pineda avait écopé alors de 25 ans de réclusion par contumace.

Salvador Allende entouré de quelques membres de sa garde rapprochée et leurs familles, pour la fête de Noël en 1972. Le groupe de protection du Président, le Gap, était composé de jeunes militants bénévoles issus des rangs des travailleurs, non professionnels mais aguerris et très dévoués à Allende. Lors du putsch ils ont résisté jusqu’à la fin à leurs postes auprès du Président, défendant le gouvernement et les institutions républicaines. La plupart d’entre eux ont été tués les jours suivants, fusillés dans des casernes et restent encore disparus. Photo Archive Gap.

À Rome, dans le cadre du procès « Condor » —le réseau ourdi dans la décennie des 70 et 80 par les dictatures sud-américaines pour réprimer l'opposition politique de manière coordonnée—, Luis Ramírez Pineda a été aussi cité par la justice italienne, dans un dossier qui concerne des accusés chiliens, uruguayens, péruviens et boliviens, des sicaires des organismes de « sécurité » qui ont traqué et exterminé sans pitié des milliers de militants de la gauche latino-américaine.