jeudi 18 juin 2015

Coupe de l'América 2015, sur les sites de la mémoire d’un peuple

Dès le jour du coup d’état du 11 septembre 1973 la dictature militaire chilienne a utilisé les stades comme des camps de concentration pour l’internement massif de prisonniers. Le stade National à Santiago a été pendant presque deux mois l’un des plus importants centres transitoires de détention et de tri, d’interrogatoire et de tortures, et des milliers de personnes y ont été parquées. Photo : Institut national de l'audiovisuel, France.
Des neuf stades où s'est jouée la Coupe de l'América 2015 au Chili, au moins trois portent un passé récent très douloureux pour des milliers de chiliens : ces stades ont été utilisés comme centres de détention et de tortures dès le début de la  dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990). C’étaient les premiers camps de concentration de la longue dictature militaire chilienne.

Lors des récents travaux entrepris au stade National pour intégrer les standards de la Fifa, et en vue des matchs internationaux de la Coupe de l'América 2015, diverses rénovations sont intervenues : déplacement de grilles, construction d’une fosse, remodelage des enceintes intérieures, blanchissement des façades et remplacement des anciens gradins par des sièges individuels rouges.

Dans l'aile nord du stade, la vaste rénovation a épargné une zone de 185 m2, où les gradins en bois ont été gardés intacts. Ce secteur avec ses vieux gradins en bois fendillés, qui contraste entre les nouveaux sièges de plastique rouge, a été conservé comme un vestige des horreurs commises dans ces lieux par la dictature de Pinochet. C’est l’ « écoutille 8 ».

Par cet accès carré sont arrivés au stade National de Santiago près de 40.000 prisonniers politiques qu’y ont été arrêtés et torturés par les militaires chiliens, certains jusqu'à la mort. Des milliers d'autres détenus ont été confinés dans le stade de Playa Ancha, dans le port de Valparaíso, et dans le stade régional de Concepción, au sud du Chili.

Des hommes et des femmes de tous âges et origines ont été entassés dans les gradins du grand stade, fichés et interrogés par les agents du service d’intelligence de l’armée de terre. Des tabassages brutaux, des humiliations permanentes et des tortures ont été systématiquement appliquées aux détenus.

Capturés lors des rafles massives, brutalement frappés dès leur arrestation, entassés dans des camions et sans savoir leur destination ou s'ils allaient revoir un jour leurs familles, les prisonniers arrivaient au stade où ils restaient parqués des semaines, dormant à même le sol dans les couloirs en béton. Ils n’avaient pas droit aux visites et souvent leurs familles ignoraient qu’ils étaient détenus.

Sous la tribune présidentielle du stade National on enfermait dans un secteur spécial les prisonniers de « haut niveau » : des dirigeants et des hommes politiques proches du gouvernement du président socialiste Salvador Allende. La torture y était systématique, les détenus dormaient collés les uns aux autres pour combattre le froid, privés de toilettes et forcés d’assouvir leurs besoins corporels sur place.

C‘est là aussi qui se perdent les traces de deux des plus célèbres détenus du stade National, le journaliste américain Charles Horman et son compatriote Franck Teruggi, tous deux détenus et tués à Santiago en septembre 1973.

Charles Horman, alors scénariste pour l’entreprise chilienne de cinéma, a été arrêté par une patrouille militaire le 19 septembre, accusé d’activités « subversives » après avoir dévoilé des agissements de la CIA contre l'administration du président Salvador Allende. Il a été torturé puis exécuté quelque part dans l'enceinte du stade National. Sa mort a inspiré un livre et le célèbre film « Missing », de Costa-Gavras, primé de l'Oscar en 1982. Frank Teruggi a été arrêté le 20 septembre 1973, conduit au stade par les militaires et probablement assassiné dans le même stade le 22 septembre.

Après le retour de la démocratie, sous l’impulsion des associations des victimes, une série d'initiatives pour la récupération de la mémoire des lieux a été lancée. En mars 2014, des associations d’anciens prisonniers politiques ont installé un mémorial avec des textes des prisonniers en hommage aux victimes dans l'un des accès intérieurs de l'enceinte sportive. Deux autres mémoriaux se trouvent dans les portes principales du stade et dans un ancien vestiaire de la piscine olympique, qui était le lieu de détention des femmes.

Dans le vestiaire nord du stade National, un secteur où étaient enfermées les femmes, la sculptrice chilienne Valentina Rozas a installé le jour du patrimoine des sculptures en souvenir des épouvantables supplices infligés par la soldatesque aux victimes. Photo Valentina Rozas.

Chaque 11 septembre, l'anniversaire du coup d'État qui a renversé le président Allende en 1973, des milliers de personnes arrivent au stade et remplissent les allées de bougies allumées en souvenir des victimes.
Le stade national du Chili a fonctionné comme camp d’internement transitoire pendant 58 jours, du jour du putsch au 9 novembre 1973. Une partie des détenus a été libérée, la plupart transférée vers les véritables camps de concentration pour les prisonniers politiques, bâtis par les militaires au nord, sur la côte et au sud du Chili.

lundi 8 juin 2015

Michelle Bachelet, la présidente du Chili à Paris

La présidente du Chili Michelle Bachelet arrive entourée d’agents de sécurité à l'exposition universelle de Milan « Expo Milano 2015 », pour visiter le pavillon du Chili, le 6 juin 2015. Photo Giuseppe Aresu - A.F.P.
La présidente chilienne Mme Michelle Bachelet était à Paris le 8 juin dernier, dans le cadre de sa tournée européenne qui l’a conduite en Italie, puis en France et qui s'est poursuivi en Belgique. Un entretien avec le président français M. François Hollande a eu lieu lundi 8 juin à 19 h. suivi de signatures d’accords commerciaux bilatéraux, et un diner officiel en l’honneur de Mme Michelle Bachelet a été donné à l’Elysée.

Le pape François reçoit au Vatican en audience privée la
présidente du Chili Mme Michelle Bachelet, le 5 juin 2015.
Photo Alberto Pizzoli, EFE – Pool.
En Italie, Mme Bachelet a visité l’exposition universelle de Milan, important événement où le Chili tenait un pavillon qui  présentait des produits nationaux et des entreprises autour de la sécurité alimentaire. Le 5 juin elle a aussi rencontré au Vatican le pape François, « une grande opportunité pour renforcer les liens entre les Chiliens et la sainte église catholique » pour le chef de la diplomatie chilienne, M. Heraldo Muñoz.

Au Chili, pays de tradition catholique où l’église garde une énorme influence et un œil sourcilleux sur l’évolution des mœurs, ce rapprochement est d’une grande importance. Le pape François devrait se rendre aussi au Chili en 2016, pour une visite de trois jours qui pourrait inclure la région de l’Araucanie, territoire en conflit entre le peuple originaire du sud du Chili, les Mapuche, et les compagnies forestières qui exploitent leurs terres ancestrales, polluent les rivières et dévastent les forêts. 

Pour les Affaires extérieures chiliennes, cette tournée visait à renforcer le dialogue et les relations politiques entre le Chili et l’Europe, mais surtout à relancer les négociations économiques et les échanges commerciaux. Ainsi, lors du passage à Paris de la présidente du Chili, le Medef —la puissante organisation des patrons d’industries et d’entreprises françaises—, organisait un forum d’affaires franco-chiliennes, en partenariat avec le Centre chilien des investissements étrangers.

Pour la présidente chilienne ce voyage était une parenthèse salutaire, car elle traversait à Santiago une séquence plutôt défavorable. Début mai, elle avait dû procéder à un remaniement ministériel, forcée par les soupçons de corruption pesant sur quelques ministres et notamment l’affaire de trafic d’influence qui a éclaboussé son propre fils et proche collaborateur.
En chute libre dans les sondages, critiquée par des mesures politiques impopulaires et des reformes économiques qui tendent à la privatisation des ressources, Mme Bachelet doit aussi faire face à la contestation des professeurs, descendus par milliers dans la rue pour rejeter un nouvel statut enseignant considéré injuste et nuisible.

À Paris, Mme Bachelet avait été informée que son nouveau secrétaire général de la Présidence, M.Jorge Insunza, était aussi soupçonné de conflits d'intérêt, pour des prestations de conseil à des entreprises minières privées alors qu’il était député et membre de la commission minière du Parlement.

M.Jorge Insunza, qui avait prêté serment le 11 mai dernier, a démissionné de son poste par téléphone le dimanche 7 juin. Il a été 28 jours au poste de secrétaire général de la Présidence, et il devenu un symbole évident de l’imbrication étroite et inéluctable entre l’administration et les puissants intérêts privés, détenus par les groupes financiers et les familles qui contrôlent l’économie du Chili.

Lors d’une cérémonie le 8 juin, Mme Bachelet a reçu les insignes de Docteur Honoris Causa par l’université Sorbonne nouvelle. En Belgique, elle a participé au sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté des États Latino- américains et de la Caraïbe (Celac) et de l’Union européenne à Bruxelles.