mardi 23 décembre 2014

Miguel Krassnoff Martchenko, condamné pour crimes et tortures visite une exposition

Miguel Krassnoff Martchenko, jeune lieutenant lors
du putsch sanglant de 1973, il a commandé l’assaut
contre la résidence du Président Allende. Chef des
unités d’extermination et membre de l’état-major à la
DINA, il a été l’un des pires bourreaux de la police
politique de Pinochet. Surnommé « Caballo loco »
(Cheval fou) par sa brutalité contre ses victimes, il
est responsable de tortures abjectes, de massacres
et de disparitions de centaines de prisonniers.
Miguel Krassnoff Martchenko, ex brigadier de l’armée de terre et l’un des plus cruels criminels de la DINA, l’appareil de terreur politique de la dictature chilienne, a été pris en photo très détendu à une exposition de peinture à l’hôpital militaire le 25 novembre dernier accompagné, d’un gendarme.

Miguel Krassnoff a été l'un des chefs de « Londres 38 », un des pires sites de détention clandestine et torture, il a commandé les brigades « Aigle », qui ont persécuté depuis la « Villa Grimaldi » le Parti socialiste et le MIR et il a intégré aussi la brigade « Lautaro », l’unité ultra secrète chargée de l’extermination d’opposants de gauche.
Inconditionnel de Pinochet dès l’avènement de la dictature en 1973, Miguel Krassnoff(1) cumule plus de 140 ans de prison pour des crimes de lèse humanité, perpétrés quand il était membre de l’état major de la DINA.

Parmi au moins une soixantaine de crimes répertoriés, Krassnoff est responsable des meurtres de Miguel Enríquez, de Lumi Videla, du prêtre espagnol Antonio Llidó, du citoyen français Alphonse Chanfreau et de Carmelo Soria, diplomatique espagnol.
Censé purger plusieurs condamnations au pénitencier spécial de Punta Peuco(2) pour des atrocités, l’ex officier circule souvent librement à l’hôpital militaire de Santiago, où il se rend périodiquement pour des examens et des soins médicaux.
Mme Lorena Pizarro, dirigeante de l’association des familles des Détenus Disparus (AFDD), a exprimé l’indignation des familles des nombreuses victimes de la répression de voir ainsi flâner sans entrave un militaire criminel. 

« Je me demande combien de détenus au Chili ont comme lui la possibilité de sortir pour des examens médicaux. […] Cela nous fait douter encore une fois de la réalité des peines que ces personnes purgent. Il serait aussi convenable de savoir quels pathologies ils ont exactement, et quels examens les obligent à sortir au lieu de les faire à l'intérieur de la prison ».

« Punta Peuco », la prison spéciale V.I.P. pour militaires responsables des crimes contre l’Humanité sous la dictature de Pinochet. Des voix se lèvent au Chili pour la fermeture de cette prison « 5 étoiles » réservée aux criminels militaires, car elle maintient une situation de privilèges intenable et de manifeste inégalité vis-à-vis de tous les justiciables.

Ce n’est pas la première fois que ce genre d’écarts se produit au Chili avec des criminels militaires condamnés pour des atrocités. En effet, plusieurs anciens officiers se rendent régulièrement à l’hôpital militaire, où ils jouissent d’un traitement particulier et des prévenances des subordonnés. Admis en principe pour des soins médicaux, ils prolongent souvent leur séjour à l’hôpital pour accueillir des visites et organiser des rencontres et des réunions de famille. Certains anciens bourreaux ont été vus aussi sur des lieux publiques, en train de faire des courses ou se déplaçant dans les rues de Santiago. C’est déjà arrivé aussi que des survivants des geôles de la dictature de Pinochet, anciens détenus qui ont subi la torture aux mains des officiers de la DINA – CNI, croisent leurs bourreaux dans la rue.

M José Antonio Gómez, le ministre de la Justice, a demandé une enquête à la Gendarmerie pour établir pourquoi Miguel Krassnoff a été vu dans le hall de l'hôpital militaire sans des mesures de sécurité, et il a signalé « qu’il n'y a pas des privilèges pour ceux qui ont commis des délits ».
 
Le secrétaire général du gouvernement de Mme Michèlle Bachelet, M Álvaro Elizalde, a signalé que « personne n’est au dessus des lois, et suite à l’enquête pour établir les faits, on prendra les décisions nécessaires pour garantir que tous les Chiliens respectent la loi, et tout particulièrement ceux qui sont condamnés ».

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1. Miguel Krassnoff Martchenko, né en 1946, d’origine tyrolienne, est arrivé au Chili en 1948 avec d’autres réfugiés qui ont fui l’Europe à la chute du nazisme. Krassnoff est fils et petit - fils de militaires cosaques alliés des nazis contre l’Urss pendant la 2ème guerre mondiale. À la fin de la guerre, ses parents ont été capturés par les forces britanniques, puis remis aux autorités soviétiques. Accusés et jugés pour crimes de guerre et trahison à la patrie, son grand-père et son père ont été pendus dans une place publique en 1947. 

Élevé dans une tradition anticommuniste quasi délirante et nourri d’un sentiment de revanche sans bornes, Krassnoff s’estime l’héritier d’une lignée militaire d’élus, un « cosaque » au service de la patrie et en guerre contre les bolcheviks. Il n’a jamais exprimé le moindre remords pour les crimes et les atrocités dont il est coupable, et il se considère une victime de la persécution politique des tribunaux chiliens, pénétrés par le communisme.

Pourvu d’un ego surdimensionné, Krassnoff a rédigé dans sa prison « 5 étoiles » des textes où il expose son histoire familiale comme une saga héroïque, ses agissements au sein de l’appareil d’extermination de la dictature comme des exploits militaires et la dictature comme une sainte entreprise de salut national.

L’ancien bourreau est une sorte de personnage emblématique pour la « famille militaire », le puissant lobby des anciens membres de la Dina et des organes militaires accusés de violations des droits de l’homme.  
Sur le parcours singulier des ancêtres du tortionnaire chilien Miguel Krassnoff, voir aussi Varlam Chalamov, « Récits de la Kolyma », note p. 779. Verdier Slovo, Paris, 2003.


2. « Punta Peuco », dans la commune rurale de Til Til —à environ 80 km au Nord de Santiago—, prison spéciale pour militaires et agents de l'État responsables des violations aux Droits de l'homme pendant la dictature de Pinochet. Sous l’égide du ministère de la justice et géré par la Gendarmerie du Chili —les Gardiens de prison—, ce site a été bâti en 1995 pendant le gouvernement d’Eduardo Frei Ruiz-Tagle, 2ème administration civile après la longue dictature militaire.
 

Conçue pour l’internement du général Manuel Contreras et le brigadier Pedro Espinoza —les condamnés de « l’affaire Letelier »—, Punta Peuco accueille aujourd’hui un peu plus de 60 condamnés pour meurtres, tortures, séquestrations et disparition de personnes, pour la plupart des anciens officiers de la DINA (l’ancienne Direction d’intelligence nationale) et sa remplaçante la CNI (Centrale nationale d’informations).
 

Plus proche d’une maison de retraite de haut standing très sécurisée, le site est une prison V.I.P. qui accorde des sorties et des larges privilèges matériels aux criminels militaires : des confortables places individuelles, des terrains de sport en plein air, des installations pour barbecue, connexion internet, etc. Aucun de ces avantages n’existe dans d’autres établissements pénitentiaires du pays, vétustes et surpeuplés, et une forte clameur se lève au Chili pour la fermeture de Punta Peuco et le transfèrement des internés vers une prison commune.

lundi 8 décembre 2014

Pedro Marín Hernández, médecin de la résistance chilienne et ancien combattant internationaliste est parti

Pedro Marín Hernández, médecin militaire très aimé
de ses anciens compagnons internationalistes et des
combattants de la longue lutte contre la dictature de
Pinochet. Son départ inopiné a laissé un énorme vide.
Le 6 décembre 2014 est parti le docteur Pedro Marín Hernández, médecin chilien qui avait milité dans les rangs de la résistance à la dictature de Pinochet et aussi ancien combattant internationaliste au Nicaragua.

Il avait voyagé avec le premier groupe de jeunes chiliens accueillis à l’université cubaine en 1972, et faisait partie de la première génération d'étudiants boursiers partis pendant le gouvernement du Président Salvador Allende à Cuba, pour faire leurs études de médecine.

Le sanglant coup d'État de Pinochet du 11 septembre 1973 au Chili, fomenté par la droite conservatrice et soutenu en sous-main par les États unis, a surpris ces jeunes étudiants loin de chez eux et a bouleversé radicalement leurs vies.

Affiche du Front sandiniste de libération nationale du Nicaragua
(FSLN), la guérilla de gauche qu’en 1979 a renversé la tyrannie
des Somoza au Nicaragua, et défié ainsi l’hégémonie historique
des Etats-Unis en Amérique centrale.

Pedro Marín Hernández a pris alors la décision de devenir médecin militaire, et de contribuer ainsi au combat contre le régime terroriste qui ravageait le Chili. Il s’est fait chirurgien militaire à l’école de médecine et dans les hôpitaux de La Havane.

Au début de la décennie des 80, dans les premières années de la révolution au Nicaragua, le docteur Pedro Marín Hernández a eu une participation remarquable aux côtés de l'Armée Populaire Sandiniste dans la région de la côte Atlantique.

Très largement reconnu par ses camarades d’armes, son engagement lui a valu la médaille « Honneur au Mérite Militaire Soldat de la Patrie », et lors des cérémonies du 30ème anniversaire de la Révolution Populaire Sandiniste, cette médaille lui a été remise —ainsi qu’à des nombreux anciens internationalistes chiliens—, par le chef de l'Armée du Nicaragua.

En pleine dictature, au début 1985, le docteur Pedro Marín est entré au Chili clandestinement pour intégrer le Front Patriotique Manuel Rodríguez*, l’audacieux mouvement politique-militaire qui depuis 1983 a affronté la sanglante dictature de Pinochet. Accusé d'organiser une clinique clandestine du Fpmr, antenne médicale de support à l'attentat à Pinochet —l'action qui a failli coûter la vie au tyran le 7 septembre 1986, le docteur Pedro Marín a été arrêté en janvier 1987.

Il a été longtemps mis au secret et sauvagement torturé par les sbires de la CNI, puis jeté en prison par le juge militaire en charge de la répression des opposants. Le docteur Pedro Marín a continué la résistance derrière les barrots, et avec ses camarades, a pris part à des nombreuses mobilisations et des grèves de la faim des prisonniers politiques.

Le Front Patriotique Manuel Rodríguez a tenu tête à
la dictature de Pinochet depuis le 14 décembre 1983.
En janvier 1990, il s’échappe par le tunnel creusé sous la prison par les rodriguistes. Quarante neuf prisonniers politiques se sont ainsi évadés le 29 janvier 1990, mais le docteur Pedro Marín est capturé le 30 janvier et reconduit en prison.

Il avait recouvré finalement sa liberté et s’était installé à Antofagasta, ville du nord du Chili où il était chirurgien de l'hôpital local et professeur à l'université. Il exerçait aussi la médecine très près des communautés pauvres et des coopératives de pêcheurs.

Le docteur Pedro Marín est capturé par la Gendarmerie nationale chilienne, au lendemain de la « grande évasion » de 49 prisonniers politiques du Front Patriotique Manuel Rodríguez de la prison de Santiago, le 29 janvier 1990.

Le départ soudain du docteur Pedro Marín laisse un énorme vide parmi ses nombreux collègues médecins formés à Cuba, parmi les Sandinistes et les colonnes d’anciens combattants internationalistes de Nicaragua, et aussi parmi ses camarades de la longue lutte contre la dictature au Chili, notamment les anciens militants du Front Patriotique Manuel Rodríguez.


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* Le Front Patriotique Manuel Rodríguez, mouvement politique-militaire de gauche proche du Parti communiste, fondé le 14 décembre 1983 au Chili pour résister à la longue dictature du général Pinochet. Il a pris son nom d’un jeune avocat patriote, héros de la guerre d’indépendance contre l’Espagne, homme politique et guérillero tué en 1818.

Le Fpmr a été constitué de plusieurs centaines de jeunes cadres militaires formés à Cuba et dans les anciens pays socialistes. Parmi ces officiers, plusieurs ont eu une expérience de combat réussie et une participation décisive dans les batailles de libération du Nicaragua contre la dynastie des Somoza, en fin des 70 et début des 80, notamment sur le front Sud.

Au Chili, le Fpmr est à l’origine de nombreuses et efficaces actions de propagande armée et de déstabilisation contre la dictature, où il a fait preuve d’un très grand professionnalisme et d’une audace démesurée. Il a notamment failli liquider le tyran Pinochet en septembre 1986.

La plupart des dirigeants du Fpmr ont connu la torture et la prison sous la dictature, d’autres ont été tués par la police politique ou partis en exil. Considéré l'aile militaire du Parti communiste chilien, il a pris ses distances du Pc vers la fin des années 80. Un des traits fondamentaux du « Rodriguisme » a été d'incarner une alternative de dignité pour les chiliens, soumis
pendant des années aux cruelles exactions de la dictature, impunément et sans contrepoids. Les « Rodriguistes » subsistent actuellement comme un mouvement politique modeste, près des mobilisations sociales des jeunes et des travailleurs.