jeudi 23 octobre 2014

Cristián Labbé, ex garde du corps de Pinochet, ex agent de la Dina, ex colonel et ancien maire accusé de crimes, emprisonné puis libéré…

Cristián Labbé Galilea, alors maire de la commune
aisée de Providencia, ancien sbire de la dictature
militaire, mange des petits fours dans sa Mairie
lors du lancement de son livre « À la recherche
de l’ordre », en 2011.
Cristián Labbé Galilea, colonel de l’armée à la retraite, ancien garde du corps d'Augusto Pinochet et ex-ministre de la dictature militaire, a été arrêté lundi 20 octobre dernier, et mis en examen avec 9 autres anciens officiers chiliens pour des crimes commis sous la dictature. L’ancien officier des bérets noirs est accusé d’avoir participé aux tortures et les assassinats d’au moins treize civils opposants politiques à la dictature.

Les crimes ont été commis après le coup d’État du 11 septembre 1973 dans la caserne Tejas Verdes, à la ville côtière de San Antonio, à 120 km à l'ouest de Santiago. Régiment école des ingénieurs militaires sous le commandement de Manuel Contreras, Tejas Verdes était un lieu de détention et torture très redouté, et centre d’instruction des agents de la police secrète de la dictature, la DINA. C'est là
que le colonel Contreras a organisée sa police politique et formé les officiers responsables de la répression, notamment par l’expérimentation de différents méthodes de torture sur les prisonniers. C'est considéré le véritable berceau de la DINA.

L’enquête officielle, étayée par des nombreux témoignages, a établi que dans cette caserne des centaines de détenus —hommes et femmes— ont été soumis à des épouvantables sévices :
frappés sauvagement, parfois jusqu’à la mort, systématiquement torturés à l'électricité, brûlés, pendus et violés.

Cristian Labbé Galilea, qui a été aussi pendant 16 ans Maire de Providencia —une des plus riches communes du pays, fief historique de la droite et emblème de la clique enrichie sous la dictature—, a été lui-même agent de la DINA et instructeur à la caserne Tejas Verdes, un des premiers camps de concentration ouverts en septembre 1973 pour prisonniers politiques. Des témoignages de rescapés du camp et des dépositions tardives de bourreaux repentis signalent à Cristian Labbé parmi les tortionnaires, et il a été vu aussi dans d’autres lieux de détention comme Londres 38, la Venda Sexy et Villa Grimaldi.

Soupçonné depuis longtemps de crimes aux droits de l’homme, Labbé a toujours nié avoir appartenu à la DINA, mais des confrontations récentes avec ses anciennes victimes et divers éléments prouvent le contraire.

Note réservée du 2/12/1974 signée du directeur de
la DINA, colonel Manuel Contreras, où il sollicite
des passeports diplomatiques pour Cristián Labbé
et trois autres agents envoyés en mission au Pérou.


En effet, dans une note réservée datée de décembre 1974, Manuel Contreras lui-même —à l’époque chef de la DINA—, sollicite des passeports diplomatiques pour quatre agents de son organisme, dont Cristian Labbé Galilea. Le colonel Contreras y indique que ses agents partent au Pérou « en mission officielle » pour la Direction d’Intelligence Nationale.

La DINA avait alors détaché un grand nombre d’officiers pour son appareil extérieur, car elle déployait une forte activité au-delà des frontières du Chili à la traque des opposants à Pinochet. Des attentats, des enlèvements et des assassinats ont été ainsi commis à Washington, à Rome, à Buenos Aires et à Montevideo. Ces opérations transfrontalières ont été exécutées dans le cadre du « plan Condor », le grand accord secret de coordination entre les appareils d’intelligence militaire des dictatures d’Amérique du Sud.


L’ex-colonel et ancien maire Cristián Labbé avait déjà été interrogé en 2010 pour ses liens avec « Colombo », une vaste opération d’intoxication mise en place en 1975 par la DINA, relayée par la presse nationale et continentale, qui a consisté à déguiser en « règlement de comptes » entre militants l’extermination et la disparition de 119 personnes.


Parachutiste et instructeur de commandos, puis agent de la DINA, Cristián Labbé Galilea a été très proche du général Augusto Pinochet et chargé de sa sécurité personnelle. Et son dernier porte parole quand il était encore dictateur.
 

Détenus par la DINA courant 1974, mis au secret et atrocement torturés pendant des mois, 119 opposants politiques, hommes et femmes, jeunes, pour la plupart militants du MIR, certains de nationalité française, ont été froidement éliminés vers la fin de 1974 et début 1975. Quelques cadavres avaient été retrouvés en Argentine et au Brésil, et la dictature chilienne avait indiqué que ces morts résultaient d’une « purge interne » à la gauche.

Avec d’autres ex militaires, l’ex agent de la DINA Cristián Labbé est impliqué aussi dans le massacre de 15 paysans du complexe forestier Panguipulli, au sud du Chili. Ces crimes impunis ont eu lieu le 10 octobre 1973, dans la localité de Liquiñe, région montagneuse près de Valdivia. A l’époque, une brigade constituée de militaires et policiers locaux, renforcée par des commandos parachutistes d’élite venus de Santiago, avait quadrillé durant des mois une vaste région forestière du sud du Chili à la recherche de « guérilleros ». Avec des moyens énormes, même des hélicoptères armés de canons, ils ont investi plusieurs exploitations occupées par des paysans désarmés et procédé à des arrestations massives, des tortures et exécutions sommaires.

Longuement soupçonné, quelques fois mis en cause mais jamais vraiment inquiété par la justice, Labbé symbolise l’impunité dont jouissent des anciens militaires et ex dignitaires de la dictature, certains responsables d’atrocités, qui au retour de la démocratie ont occupé des postes de premier plan sans jamais rendre compte de leurs actes.


L’ex agent de la DINA et instructeur d’interrogateurs Cristián Labbé Galilea sur son lieu de villégiature à la plage de Miami, en février 2013.

Les associations de familles des victimes et les avocats des Droits de l’homme espéraient que l’arrestation de Cristián Labbé —pinochétiste notoire, militant de la droite conservatrice à l’Udi (Union démocratique indépendante) et provocateur patenté— aurait permis d’approfondir les enquêtes, d’élargir les charges qui le concernent et d’éclaircir des nombreux homicides sans responsable.

Mais après 48 heures de détention dans des locaux militaires, l’ancien maire Cristián Labbé a été libéré sous caution mercredi 22 octobre, après payement de 500 mil pesos, un peu plus de 670 €.


mercredi 15 octobre 2014

Six auteures chiliennes sélectionnées pour le Women Playwrights International 2015


Les six auteures chiliennes présenteront leurs travaux à la Women Playwrights International Conference, la prochaine rencontre mondiale de femmes dramaturges qu'aura lieu en juillet 2015 en Afrique du Sud.
 
La rencontre, sorte de « jeux Olympiques de la dramaturgie mondiale », a lieu toutes les quatre années dans différentes parties du monde. 
Elle a été réalisée la dernière fois en Suède, et a été inaugurée à Stockholm dans le site où sont remis chaque année les prix Nobel.

Pour 2015, ont été sélectionnées avec d’autres créatrices du continent sud-américain, les chiliennes Andrea López (Noctámbulos), Carla Romero (Oriente), María Carolina Quintana (Adentro), Daniela Molina (Cuervos), Constanza Blanco (El Dolchevito) et Ximena Carrera (Medusa), pour présenter des lectures dramatisées de leurs œuvres, jouées en anglais par des comédiens sud-africains.

Sur un ensemble de 15 latino-américaines retenues, le groupe de chiliennes représente 40 %. De retour au Chili, les six auteures vont présenter des lectures publiques de leurs œuvres, intégralement ou en partie.

Avec les réalisatrices, les écrivains chiliennes Andrea Jeftanovic, Muriel Miranda et Patricia (Nona) Fernández assisteront aussi aux communications internationales de la 10ème WPIC, afin d'échanger des expériences avec leurs collègues des 5 continents.

La Conférence internationale de créatrices de théâtre est l’occasion d’établir et d’entretenir des contacts, et surtout de créer des réseaux concrets et durables entre les réalisatrices et des professionnels de théâtre autour du monde.

Un autre grand objectif du WPIC c’est d'avoir un impact de soutien sur les initiatives de coopération, et construire ainsi des ponts entre les peuples des différentes régions des cinq continents.

La WPIC a été fondée en 1988 et a tenu sa première conférence à Buffalo, New York, aux États-Unis, avec la participation de deux cents femmes de 30 pays. Depuis, les réalisatrices de théâtre se sont réunies au Canada, en Irlande, en Grèce, en Australie, aux Philippines, en Indonésie, en Inde et en Suède. La dixième conférence sera organisée à la ville du Cap, en Afrique du Sud.

Ce groupe de créatrices retenu pour aller au Cap constitue sans doute un échantillon très représentatif de la scène théâtrale Chilienne d’aujourd’hui : jeune, ouverte aux influences d’écoles diverses et désireuse de se mesurer avec ses homologues de toutes latitudes.


Un fort trait commun de ces générations d’artistes, c’est sans doute le regard permanent qu’elles posent sur leur histoire immédiate. Cette vue  ̶ parfois tendre ou critique, décharnée ou ironique ̶  configure l’essentiel des thèmes abordés par ce théâtre.


Le traitement du thème douloureux de la mémoire, le retour sur un passé très lourd et encore très présent dans la société chilienne, sont ainsi le fil conducteur et la toile de fond pour des personnages toujours en quête de réponses, blessés d'une lésion immense et secrète, qui expriment une énorme solitude et à la fois un malaise diffus envers autrui.
  
En mettant en scène un certain nombre de thèmes difficiles et parfois des noms sur les choses, ces œuvres participent -comme le cinéma et comme la littérature-, d’un long processus complexe et conflictuel, aux contours mal définis, qui est la rémission d’un pays durablement traumatisé par la longue dictature militaire.