mercredi 27 avril 2016

Lucía Hiriart, la veuve du dictateur Pinochet à la tête d’un frauduleux empire immobilier


Lucía Hiriart, emblème vivant de la gabegie des militaires au pouvoir :
à la tête d’un empire immobilier acquis aux dépens de l’État chilien, la
veuve du dictateur Pinochet profite encore des juteux revenus de 17
ans d’exactions.
La veuve de l’ancien dictateur du Chili, Lucía Hiriart de Pinochet, de 93 ans, se trouve aujourd’hui dans le collimateur de la justice pour des avoirs frauduleux qu’on n’a pas encore fini de mettre à jour et un immense parc immobilier qu’elle gère en cachette depuis plus de 40 ans, sous l’écran de « sa » fondation CEMA Chili.
En effet, on découvre que CEMA Chili —réseau national des associations des mères du Chili—, gérée par la veuve d'Augusto Pinochet, possède plus d’une centaine de propriétés estimées à 140 millions de dollars, cédées gracieusement par l'état à la fondation pendant la dictature militaire.

Seulement une partie du total des propriétés détenues par CEMA est connu, et la valeur d'un tiers des immeubles, situés principalement à Santiago. Ce chiffre doit encore augmenter avec les données d’autres actifs transférés à CEMA dans la région Métropolitaine et ailleurs, et le Conseil de défense de l'état travaille à l’identification de chacune des propriétés.

Selon l’enquête préliminaire, CEMA, la fondation que préside Lucía Hiriart depuis 1974 et à perpétuité, cache beaucoup plus que la centaine d’immeubles que l'État lui a offert pendant la dictature. Un complexe réseau secret, composé de presque 200 filiales créées dans tout le pays a été mis à jour, avec des identités fiscales fictives et un énorme patrimoine propre. Au centre de ce montage financier —qui dissimule un millionnaire butin immobilier ne figurant sur aucun registre officiel—, l'avocat Víctor Manuel Avilés Mejías.

Il a été l'avocat de la DINA - CNI —la sinistre police politique de la dictature militaire—, et « contrôleur » de la Fondation CEMA, responsable de la gestion des biens et de la rédaction des statuts de la fondation, approuvés en juillet 1981 par le Ministère de la Justice « par ordre du Président de la République ». Le colonel d'Armée Hugo Jara González a été nommé à l’époque directeur administratif de la Fondation.

Víctor Manuel Avilés Mejías, ancien avocat de
la DINA - CNI, la police politique de Pinochet
déclarée « organisation criminelle » par la
Justice, a été dans les années 80 l’artisan du
montage frauduleux à la fondation Cema Chili.
   
CEMA Chili —fondation « à but non lucratif » créée en 1954 pour « fournir du bien-être spirituel et matériel à la femme chilienne » —, s’est sur développée durant la dictature militaire aux mains de l’épouse du général Pinochet. Lucía Hiriart, alors la « première dame de la nation », était épaulée au début par d’autres femmes de généraux et d’officiers de l’armée de terre, mais elle a finalement gardé seule le contrôle total sur la fondation.

Dotée de moyens illimités sur des terrains publics fournis gratuitement, installée dans des locaux mis à disposition sans contrepartie par les militaires au pouvoir, CEMA Chili est devenu à partir de 1974 l’une des premières « organisations de masse » de la dictature. Sous la tutelle de « Doña Lucía », un vaste réseau de monitrices bénévoles s’est organisé, voué aux femmes au foyer et touchant ainsi des milliers de mères, des parents d’élèves et ménagères.

Dès la moitié des années 70 et jusqu’à la fin des 80, le succès de CEMA Chile a été sa capacité à se ramifier dans tout le pays, et de pénétrer les couches populaires à travers ses « centres de mères », sous le commandement de l'épouse de Pinochet. Avec le puissant appui de toute la structure administrative de l'État, elle a établi un vaste réseau de sièges régionaux, provinciaux et municipaux avec des centaines d'immeubles dont le régime lui en a fait don. C'était peut-être l'une des stratégies les plus efficaces de la dictature pour se déployer sur l’ensemble du territoire.

Des locaux de ventes des articles produits par les milliers de bénévoles ont ouvert tout au long du Chili. Dès le début de la dictature, les ressources économiques de CEMA Chili sont issues de diverses origines, comme le 3 % de la « Loterie de Concepción » qui lui a été alloué, ainsi qu’un pourcentage sur le système de paris de la loterie nationale. De plus, Pinochet a imposé à divers organismes publiques l'acquisition des produits fabriqués par le réseau CEMA Chili, sans aucun appel d'offres ni mise en concurrence.

Au retour de la démocratie ce mode de financement a changé : de dépendre des subventions et dons de l'État —même si certaines municipalités ont continué de lui allouer des ressources—, la Fondation a obtenu ses revenus presque exclusivement de la vente et la location de ses immeubles.
Une série commémorative de timbres allusive aux artisanes-bénévoles de la Fondation Cema Chili émise en 1988, pour les 15 ans du putsch du 11 septembre 1973 qui porta au pouvoir la dictature militaire. N° 1323-1324.

Parmi les propriétés que CEMA possède au Chili on trouve des terrains vagues dans le sud de Santiago, des maisons en vente à Valparaíso et jusqu’à une parcelle du parc O’higgins. Même des espaces publiques appartiennent à CEMA Chili, notamment la Place d'Armes de Paine, une commune de la région Métropolitaine, car en 1986 le terrain a été cédé gracieusement à la Fondation. Une place publique de la commune de La Reine et une autre à Peñalolén sont aussi des propriétés de CEMA.

À la tête de la juteuse combine depuis 42 ans, Lucia Hiriart doit faire face maintenant aux enquêtes ouvertes en avril 2016 par la Cour d'appel de Santiago, pour détournements de fonds et fraude au fisc, commis para sa fondation depuis des décennies. Suite aux nombreuses irrégularités et aux graves abus constatés sur les biens publics, un montant très élevé de milliards de pesos appartenant à tous les Chiliens devrait être rendu au Trésor. Atteinte de troubles de santé sporadiques et très opportuns, la vieille veuve de Pinochet se fait interner régulièrement à l’hôpital militaire, à l’abri des procédures judiciaires, comme le font au Chili les responsables de crimes commis sous la dictature.



mardi 26 avril 2016

Vicente Atencio Cortéz : des condamnations confirmées pour les tueurs du député communiste



Vicente Atencio Cortéz, ancien Maire et député
communiste à l’Assemblée nationale du Chili, tué
par la police politique de Pinochet en 1976.

 
La justice chilienne a confirmé le 25 avril dernier les condamnations à 20 ans de prison pour cinq bourreaux de la DINA, la Direction d'intelligence nationale,  pour la séquestration et l’homicide du député communiste Vicente Atencio Cortéz en août 1976, en pleine dictature d'Augusto Pinochet.

Député au Parlement national pour la législature 1973 à 1977 —interrompue par le putsch militaire du 11 septembre 1973—, Vicente Atencio Cortéz était disparu depuis 1976, quand il a été capturé pendant les razzias massives lancées par la dictature militaire contre les militants de gauche.

La Cour a établi que le parlementaire et dirigeant communiste a été arrêté le 11 août 1976 par la police politique de Pinochet, qui l'a ensuite emmené à « Villa Grimaldi », un des principaux centres de détention et torture tenu par la DINA entre 1973 et 1978 dans l’est de Santiago. Il y a été vu par plusieurs prisonniers rescapés, et vers la fin août 1976 il a été transféré au quartier « Simón Bolívar », site d’extermination ultra secret où l’on a perdu sa trace.

Après de longues années de recherches, sa dépouille a été découverte par hasard le 21 mars 1990, lors d’une excavation minière effectuée dans une ancienne enceinte militaire à Peldehue, au nord de Santiago, dans des terrains qui ont appartenu à l'Armée jusqu'en 1980.

Avec lui, les corps de deux autres victimes ont été trouvés sur le même site : Alejandro Avalos, professeur et chercheur à l'Université catholique du Chili, arrêté le 20 novembre 1975, et Eduardo Cantero Prado, fonctionnaire au ministère du Logement, détenu le 23 juillet 1976. Ils étaient tous deux militants communistes disparus.

Les condamnés pour ce crime sont les agents de la DINA et ex-officiers de l’armée Pedro Espinoza Bravo, Carlos López Tapia, Rolf Wenderoth Pozo, Juan Morales Salgado et Ricardo Lawrence Mires, ancien officier de police. Responsable de plusieurs autres atrocités, Ricardo Lawrence Mires est fugitif de la justice depuis février 2016, car il ne s’est pas rendu à la convocation du juge pour être notifié d’une plainte collective pour tortures, déposée par 30 survivants de la « Villa Grimaldi ». Un mandat d’arrêt a été lancé contre lui.

Vicente Atencio Cortéz, Maire de la ville d’Arica lors d’une cérémonie officielle
en 1968, dans la région du Nord du Chili.
Vicente Atencio Cortéz —de 46 ans, marié, père de quatre enfants, membre du Comité central du Parti communiste—, était un ouvrier du bâtiment et syndicaliste, ancien conseiller municipal puis Maire de la ville d’Arica entre 1967 et 1968. Il avait été élu député pour la première zone du Nord en 1969, et réélu en 1973.

Sa détention et son subséquent assassinat s’inscrit dans la longue série d’opérations lancées dès la moitié des années 70 par la dictature contre le Parti communiste, visant à la capture des membres de sa direction, des cadres et dirigeants, et à l’annihilation de ses différentes structures partisanes et de liaison. Mis hors la loi et férocement persécutés depuis le coup d’état par les sbires de Pinochet, les communistes —qui avaient fait partie du gouvernement constitutionnel de Salvador Allende—, essayaient alors de survivre et de reconstituer leur parti dans la clandestinité.