mardi 27 mai 2014

Sergio Onofre Jarpa, ex ministre de l’intérieur de Pinochet et son bras droit inculpés par la justice

Sergio Onofre Jarpa, riche propriétaire terrien et leader de la
droite conservatrice qu’a fomenté le coup d’État en 1973 et
soutenu la longue dictature de Pinochet. Lorsqu’on parle au
Chili de la « dictature civile et militaire », c’est à des civils
comme lui qu’on pense. Il ne s’est jamais dédit de sa proche
collaboration avec la tyrannie ni de son admiration pour les
généraux félons. Photo Agence UNO.
Dans l’enquête pour la mort d’un jeune étudiant en 1985, la cour d‘appel de Santiago a décidé de convoquer Sergio Onofre Jarpa, ex-ministre de l’intérieur de Pinochet et son ancien bras droit, l'ex-sous-secrétaire Alberto Cardemil. Les deux anciens collaborateurs de Pinochet ont été interrogés pour leur responsabilité dans la mort du jeune Patricio Manzano, arrêté avec 240 autres étudiants en février 1985 et décédé ensuite dans un commissariat de police.
 

Cette décision de justice constitue au Chili une véritable nouveauté, car hormis quelques rares anciens militaires responsables d’atrocités sous la dictature, jamais des civils ayant collaboré ouvertement aux exactions n’ont été inquiétés.

Sergio Onofre Jarpa Reyes
, l’ancien ministre de Pinochet, est un riche exploitant agricole, prospère entrepreneur et homme politique, fondateur et dirigeant historique de plusieurs formations de la Droite nationale et deux fois sénateur. Vieux renard de la politique, leader du Parti conservateur et sénateur en 1973, Jarpa fut un farouche adversaire au président Salvador Allende, et l’artisan de l’accord politique passé par la Droite avec la Démocratie chrétienne, parti centriste qui avait d'abord soutenu l’arrivée d’Allende à la présidence.

De la Droite au Centre, une vaste coalition d’opposition a été ainsi échafaudée, virulente et multiforme, qui forte du solide soutien financier nord-américain a bloqué politiquement l’exécutif et organisé la déstabilisation économique, sans exclure la conspiration ni les appels aux militaires à déposer  le gouvernement constitutionnel par la force.

Sergio Onofre Jarpa Reyes, Lucía Hiriart, l’épouse du dictateur et le général Pinochet à Santiago le 10 septembre 1983. Jarpa Reyes était alors un étroit collaborateur politique de la dictature chilienne, qui faisait face à une forte contestation interne et au rejet unanime de la communauté internationale. Photo : journal l’Express, du 16 au 22 septembre 1983.

Souteneur et très proche de la dictature suite au sanglant coup d’État de 1973, Sergio Onofre Jarpa a été dès 1974 représentant du Chili aux Nations Unies, puis ambassadeur en Colombie et en Argentine entre 1976 et 1983. Il a été désigné par Pinochet au ministère de l'intérieur en 1983, et il y est resté jusqu’en 1985. Son sous secrétaire d’alors était Alberto Cardemil, avocat de Droite qui avait déjà servi comme fonctionnaire ministériel dans l’appareil administratif de la dictature.

Alberto Cardemil, devenu ensuite porte-parole du régime militaire, apparaît aussi dans d'autres dossiers collaborant très étroitement avec la CNI, la police secrète de Pinochet, et lié à plusieurs opérations contre les opposants de l’époque.



Comme ministre de l'Intérieur —au Chili, le Premier ministre —, Sergio Onofre Jarpa a conduit une séquence d’apparente « ouverture » du régime militaire et de dialogue politique avec l'opposition. Cette prétendue ouverture c’est avéré une manœuvre pour désamorcer la contestation croissante qui gagnait le pays, et notamment pour freiner les « Journées de protestation nationale » lancées en 1983 par l’opposition. 

Alberto Eugenio Cardemil Herrera, ancien fonctionnaire au Ministère de l’intérieur sous la dictature de Pinochet. Des documents déclassifiées attestent sa collaboration avec la sinistre CNI, ainsi que sa responsabilité dans l’espionnage au Vicariat de la solidarité sous la dictature. Photo Agence UNO.

La dictature a sorti les militaires dans la rue contre la population, et la répression a fait plusieurs morts. Les arrestations massives se sont multipliées, les déportations d’opposants ont repris et les appareils secrets de répression politique n’ont pas cessé les enlèvements, ni les tortures ni les assassinats.

En février 1985 la fédération d’étudiants du Chili (Fech) avait organisé comme chaque année sa campagne de « travaux d’été ». En effet, c’est une tradition chez les étudiants chiliens de partir en nombre pendant les vacances d’été dans des lieux reculés du territoire, pour y effectuer bénévolement des tâches agricoles, bâtir des écoles rurales, faire l’alphabétisation, réparer des habitations ou des réseaux d’égouts.

Patricio Manzano, jeune étudiant chilien mort dans un
commissariat de police sous la dictature de Pinochet.
Son souvenir est très vivace pour plusieurs générations
d’étudiants, et divers hommages à sa mémoire ont eu
lieu au Chili au retour de la démocratie.

Sous l’état de siège décrété par la dictature, qui craignait toute forme d’organisation citoyenne et surtout les étudiants, ces travaux d’été ont été interdits. Le matin du 8 février 1985, 240 étudiants de plusieurs universités et différentes filières ont été arrêtés sur ordre du ministre de l'Intérieur à 70 km de Santiago. Tabassés par la police, puis exposés à plat ventre au soleil pendant des heures, ils ont été conduits le soir à Santiago et écroués au 1° commissariat des carabiniers.

Patricio Manzano, un des jeunes détenus, élève ingénieur de 21 ans, a été victime d’un très grave malaise respiratoire et il a été tout de suite secouru par des étudiants en médecine emprisonnés avec lui. Les étudiants ont appelé à l’aide, mais les policiers ont traîné les pieds, l’officier a refusé même une voiture de police pour emmener à l’hôpital l’étudiant agonisant. Le jeune est mort dans le commissariat, apparemment d’un arrêt cardiaque, son décès a été constaté dans l’ambulance qui est arrivée tardivement.

Patricio Manzano est venu grossir la très longue liste de victimes mortes pendant l’état d'urgence. La plainte déposée à l’époque par la famille pour arrestation arbitraire et violence injustifiée est restée sans suite, les circonstances de sa mort n’ont pas été élucidées et les responsables sont restés impunis.

Sergio Onofre Jarpa, l’ancien ministre de l’intérieur de Pinochet a été en 1987 cofondateur et puis sénateur de Rénovation Nationale, parti de la droite dure héritière politique de Pinochet, qui a porté Sebastián Piñera au gouvernement en 2010 et a recyclé plusieurs cadres et hauts fonctionnaires ayant collaboré avec la dictature.


Augusto Pinochet, à la tête d’une dictature longue de 17 ans au Chili, et Alberto Cardemil, son ancien collaborateur et actuel parlementaire de Rénovation nationale. Alberto Cardemil n’a jamais caché son admiration pour le général, paradigme du tyran félon et impitoyable.

En 1994 Jarpa s’est retiré de la vie publique dans sa propriété d’El Totoral, à 240 km au sud de Santiago. Il s'occupe d’agriculture, de sa famille et de sa femme, l'avocate Mina Huerta Dunsmore. L’actuelle compagne de Sergio Onofre Jarpa est une des filles de l’amiral Ismael Huerta, marin putschiste et ex ambassadeur de Pinochet à l’Onu.

Dans les années 70, pendant le gouvernement d’Allende, Mina Huerta Dunsmore a participé aussi de très près aux opérations de déstabilisation de l’ultra droite au sein de la Marine, notamment un « auto attentat » à la bombe en début juillet 1973 contre une maison vide appartenant à son père, l'amiral Huerta.


Sergio Onofre Jarpa, entretien à la revue Paula, 3 Mars 2010

Sergio Onofre Jarpa dans son vaste domaine au sud du Chili. Un mandat d’arrêt international lancé contre lui il y a 16 ans par un Tribunal espagnol l’empêche de quitter le pays. Près de 40 anciens officiers et ex responsables politiques de la dictature de Pinochet sont également dans son cas. Photo Alejandro Araya.

Exécutés par le groupuscule d’ultra droite « Patrie et liberté » et pilotés par le service d’intelligence de la Marine, ces attentats qui ont ciblé aussi des officiers et des installations navales, visaient à générer un climat de désordre incitant les militaires à prendre le pouvoir. Ils ont débouché le 26 juillet 1973 sur l’assassinat du commandant Arturo Araya Peeters, aide de camp du président Salvador Allende.

Mina Huerta Dunsmore a été aussi récemment la présidente de la « Corporation 11 septembre », association des nostalgiques de Pinochet qui réunit des retraités de l’armée et vise à « défendre le legs historique » du dictateur disparu.

Cette association ―qui organise des hommages à des militaires criminels―, est très intimement liée aux ex-agents de la DINA-CNI, et la vitrine des revendications des anciens officiers inculpés pour crimes sous la dictature. C’est l'outil médiatique de la « famille militaire », le puissant lobby des anciens collaborateurs de la dictature, qui aux armées et dans la société civile chilienne, cherche à arrêter les poursuites pour violations des droits de l’homme et à faire libérer les rares ex officiers condamnés pour crimes.


Mina Huerta Dunsmore, avocate d’ultra droite, ex présidente et proche de la « Corporation 11 septembre », très liée aux anciens tortionnaires de la DINA-CNI, et son compagnon Sergio Onofre Jarpa, ex ministre de l’intérieur de Pinochet.

Depuis fin 1999, Sergio Onofre Jarpa est l’un des 39 extradables de la liste du juge espagnol Baltasar Garzón, les collaborateurs civils et militaires de la dictature de Pinochet sur lesquels pèse un ordre de capture internationale pour crimes de lèse humanité au Chili.



lundi 26 mai 2014

Théâtre : « JE NE SUIS PAS TOUT À FAIT MOI-MÊME »

Cette intéressante proposition théâtrale avec mise en scène d’Enrique Pardo, jeu et montage de Laura Fuentes, a déjà tourné en Californie, au Mexique, et dans plusieurs villes du Chili, et sera présentée ensuite dans plusieurs autres scènes du monde.
Cette performance correspond à la fin d'un processus académique de recherche pratique des méthodologies de l’École Panthéâtre - Roy Hart Théâtre, et particulièrement de ses applications dans le travail de l'acteur et dans la direction d'acteurs, réalisé grâce à une bourse d’études de spécialisation du Fond national pour la Culture et les Arts du Chili, Fondart.
 
« Je ne suis pas tout à fait moi-même » est inspirée du personnage de Nina dans « La Mouette », de Tchékhov, et à travers une série d’adresses et de monologues rétrospectifs elle interpelle les grands maîtres du théâtre russe : Tchékhov lui-même, mais aussi Meyerhold et les divers personnages qu’ils ont créés et joués.

L'œuvre s'installe dans une poétique surréaliste, une narration non narrative qui invite le spectateur à entrer dans le monde onirique de Nina.
 
Nina, une jeune femme ―Laura Fuentes― qui se veut comédienne retourne au seuil de ses illusions théâtrales. Les espoirs, les préparatifs et les auditions, les répétitions qui ne semblent jamais aboutir au « grand » théâtre. Le vouloir être et la peur d’être.

  
À mi-chemin entre fiction et autobiographie, les textes sont tirés de « La deuxième mort d’Anton Pavlovitch Tchekhov », du dramaturge chilien Gustavo Meza, prix national d’Art du Chili.
«Je ne suis pas tout à fait moi-même est une fiction biographique de grands artistes dont les réflexions sont en écho avec nous-mêmes »

 
Lundi 02 juin, à 15 heures.
Université Paris VIII
2, Rue de la Liberté
93200 Saint-Denis

M°13 - Saint-Denis - Université

mardi 6 mai 2014

« Rue Conferencia », l'abominable piège de la DINA contre les communistes chiliens


« OÙ SONT-ILS ? », sans réponses depuis 40 ans, la question des
familles des disparus sur le sort ultime des prisonniers demeure une
plaie béante pour la société chilienne. Affiche de l’association des
familles des disparus, Mai 1988. Musée de la mémoire et des droits
de l’homme. Santiago, Chili.
Dans la féroce guerre d’extermination menée pendant des années par le dictateur Augusto Pinochet contre les communistes chiliens, l'affaire de la « Rue Conferencia » reste un des épisodes le plus cruels et sordides.

La nuit du 29 avril 1976, la DINA, la police politique de Pinochet, a investi le domicile d’une famille de sympathisants à la rue Conferencia, dans le quartier ouest de Santiago, où fonctionnait un atelier et un magasin de maroquinerie.

Les agents de la DINA ont occupé la maison et ont monté sur place une « souricière » : ils ont forcé les habitants à simuler une vie normale et pendant les 7 jours suivants ils ont attendu l’arrivée des militants qui s’y rendaient à une réunion.

Entre le 4 et le 6 mai 1976, cinq membres de la direction clandestine du parti communiste sont ainsi tombés dans le piège mortel monté à la Rue Conferencia : Mario Zamorano Donoso, Jorge Muñoz Poutays, Uldarico Donaire Cortéz, Jaime Donato Avendaño et Elisa Escobar Cepeda 


Ils ont été tous emmenés ensuite dans des sites secrets de détention et torture et sont depuis disparus.
MARIO ZAMORANO DONOSO, 44 ans, maroquinier, et JORGE MUÑOZ POUTAYS, ingénieur, 43 ans, membres du comité central du Parti communiste. Séquestrés par la DINA le 4 mai 1976 à la souricière de la rue Conferencia.
ULDARICO DONAIRE CORTEZ, 51 ans, ouvrier typographique, et JAIME DONATO AVENDAÑO, mécanicien, 41 ans, membres du comité central du Parti communiste. Enlevés par la DINA le 5 mai 1976 dans le piège de la rue Conferencia.


ELISA DEL CARMEN ESCOBAR CEPEDA, ouvrière
de 42 ans, membre du comité central du Parti
communiste, arrêtée le 6 mai 1976 dans la
souricière de la rue Conferencia.
Leurs corps n’ont jamais été retrouvés et on présume qu’ils ont été lancés dans la mer lestés d’un rail, depuis des hélicoptères militaires.

Après des nombreuses années de recherches, des inculpations sont tombés en octobre 2013 sur plusieurs dizaines d’anciens agents de la DINA, des membres de la brigade « Lautaro », l’unité ultra secrète constituée par la garde rapprochée du général Contreras et chargée particulièrement de l’extermination des communistes.

Cette unité spéciale —la plus puissante et nombreuse de la DINA— comptait dans ses rangs beaucoup de femmes et opérait dans le quartier secret « Simón Bolívar ». C’est dans ce site qu’ont été atrocement torturés puis assassinés les prisonniers de la « Rue Conferencia » et les victimes des razzias qui ont suivi cette opération.