mardi 30 août 2016

Chili : 30 août, la Journée internationale du Détenu disparu


Affiche de la Journée nationale du Détenu disparu. 30 août.
Ton souvenir est toujours là. Ce jour a été déclaré la « Journée
Internationale des Victimes de Disparitions Forcées » par
l'Assemblée générale des Nations unies le 21 décembre 2010.


Le Chili commémore ce 30 août la « Journée nationale du Détenu disparu », en mémoire des milliers de citoyens arrêtés par les appareils de sécurité de la longue dictature du général Pinochet, et qui ont ensuite disparu.

Ces hommes et femmes —surtout des jeunes et des très jeunes—, étaient des militants des partis de gauche, qui se sont retrouvés hors la loi et férocement traqués après le coup d’état du 11 septembre 1973.
Beaucoup d’entre eux ont rejoint les rangs de la résistance clandestine à la cruelle tyrannie militaire, et ont été enlevés par la police politique alors qu’ils travaillaient à la récupération des organisations du peuple.

Embastillés dans des cachots secrets pendant des semaines et des mois, ils ont tous été soumis aux plus barbares supplices, puis exécutés sans pitié. Leurs cadavres ont été ensevelis dans des charniers clandestins, lancés dans l’océan depuis des hélicoptères ou dynamités par les sicaires.

La dictature a prétendu occulter les faits, a nié l’existence de ces victimes et tenté d’effacer leurs noms. Et pourtant ils n’ont pu anéantir leur mémoire, ils sont présents aujourd’hui parmi les siens, leurs visages sont portés comme emblème de justice, leurs noms servent d’exemples aux jeunes générations.




jeudi 25 août 2016

Desiderio Arenas, un artiste multiple qui part beaucoup trop tôt


Desiderio Arenas, El Chere, un touche-à-tout aux talents divers, il a franchi avec ses créations l’espace de plusieurs générations et il part trop tôt.

Desiderio Arenas Charlín, parolier et artiste multiple, auteur de quelques unes des chansons les plus connues du célèbre groupe chilien « Quilapayún », est décédé mercredi 24 août à Santiago. Connu sous le nom de « Chere » Arenas, il a été biographe, romancier, dramaturge et scénariste, en plus d'un compositeur prolifique qui depuis 1968 a fait des chansons pour des nombreux interprètes. Il était aussi membre permanent du syndicat national d’artistes et créateurs.

Il a été l’auteur de plus de 80 œuvres musicales, chantées par des interprètes du milieu national —notamment Les anges noirs, Quilapayún et Patricio Manns—, et plusieurs autres solistes également très prisés. Comme plusieurs autres artistes et créateurs, il a été prisonnier politique pendant la longue dictature militaire de Pinochet, et il est parti en exil en France en 1975.
http://www.quilapayun.com/canciones/retrato.php
Le groupe chilien «Quilapayun». Photo site officiel.

A Paris, il a crée la musique pour diverses pièces du théâtre « Aleph », d'Oscar Castro. De cette période datent aussi ses travaux en collaboration avec d’autres artistes comme Patricio Wang, Eduardo Carrasco, José Seves, et avec Patricio Manns.

À son retour au Chili en 1987, sous l'influence du rock français des années 80, Desiderio Arenas a lancé « La bande du chacal » (1988). C’était la chanson populaire avec une âme de « rock urbain », avec beaucoup d’humour et des éléments des comics, à l'opposé de la chanson engagée de ses débuts, mais qui gardait les mêmes objectifs.

Il a été le biographe de Margot Loyola, la grande folkloriste chilienne qui a formé des générations d’artistes, et aussi de Luis Advis, compositeur et auteur d’une vaste œuvre musicale qui a changé le sort de la création musicale au Chili. Écrivain, Desiderio Arenas a donné deux romans et plusieurs pièces comme dramaturge, et il a été aussi co-auteur des scénarios de films.

Couverture Banda del Chacal,
EMI Odeon, Chili, 1988.
Très influencé para la génération beat, Arenas considérait l’écrivain Jack Kerouac une référence centrale, et parmi ses inspirations —hormis quelques créateurs chiliens—, il reconnaissait Bob Dylan, Bertolt Brecht, Norman Mailer, Pink Floyd, Queen, le Che Guevara, les murs de Paris en mai 68, Georges Brassens, Leonard Cohen et Renaud.

Comme il l’a déclaré plus d’une fois, « pour maîtriser son métier de compteur d'histoires il s'est servi de divers moyens », et il aura été un peu photographe, un peu musicien, un peu écrivain, un peu dessinateur et un peu chanteur. L’artiste laisse ses travaux, des propositions audacieuses à la frontière de plusieurs disciplines, une œuvre riche et peu connue, dont le volet musical est l’une des clefs d’accès.

Aujourd’hui dans le chagrin, ses proches témoignent à Desiderio Arenas une grande reconnaissance, pour la stature de son œuvre, qui reste parmi nous, et pour les généreuses valeurs communes qu’il a partagé avec ses amis et camarades.

Suite à une veillée réalisée mercredi 24 août, sa dépouille a été conduite au crématorium du cimetière Parc du Souvenir, à Santiago nord, pour être incinérée jeudi 25 août à 15h00.



jeudi 11 août 2016

Mariana Callejas, ex-agente de la DINA et écrivaine est morte à 84 ans



Mariana Callejas, alias María Luisa Pizarro, ex agente clandestine de la puissante DINA. Elle a participé des opérations déclenchées par la police politique de Pinochet pour aller éliminer leurs opposants au delà des frontières du Chili

Mariana Callejas, écrivaine et ancienne agente de la DINA —la Direction d’intelligence nationale, la redoutée police politique de Pinochet—, est décédée le mardi 10 août dernier à 84 ans dans une maison de repos à Las Condes, un quartier huppé de Santiago.

Mariana Callejas, avec son ex-mari Michael Townley, a été accusée de participation directe à des crimes, comme les meurtres du général Carlos Prats et son épouse Sofía Cuthbert en 1974 en Argentine, et les meurtres d'Orlando Letelier et Ronnie Moffit en 1976, aux États unis. Des enquêtes et procédures judiciaires contre elle, contre son mari et la DINA, ont été instruites dans au moins 4 pays où des opérations d’élimination d’opposants ont été exécutées par la dictature chilienne depuis 1974.

Selon des témoignages du chef de la DINA Manuel Contreras, et de Michael Townley, c'est Mariana Callejas qui a déclenché l’explosion de la bombe qui a tué le couple Carlos Prats en Argentine. Sous le faux nom de María Luisa Pizarro, Mariana Callejas agissait pour la DINA dès le milieu de la décennie des 70. En début 1975 elle a accompagné son mari dans une mission d'élimination d'opposants au Mexique, où avait lieu une réunion. Faute de coordination, le coup n’a pas réussi, puis d'autres missions ont suivi en Europe. À l’époque, le couple Townley exécute diverses tâches de filature, des repérages, et noue aussi des contacts utiles pour pouvoir lancer ensuite à l’étranger des actions soutenues par des réseaux locaux alliés.

Callejas et Townley ont ainsi établi des liens avec le milieu néofasciste à Rome et aussi aux États-Unis avec les cubains anti castristes de Miami. Ce sont des fascistes italiens qui ont tiré sur Bernardo Leighton et sa femme à Rome en octobre 1975. Puis ce sont les cubains qui ont fourni  la logistique et les complicités pour commettre les assassinats d'Orlando Letelier —ancien diplomate et ministre d’Allende—, et de Ronnie Moffit, en septembre 1976, à Washington.

La DINA déployait alors une forte offensive extérieure, et menait des opérations d'éliminations ciblées d'opposants influents, hommes politiques et anciens membres du gouvernement déchu de Salvador Allende, supposés créer à l’étranger des problèmes à la dictature chilienne. Ces opérations étaient singulièrement facilitées par les accords d’entraide et coopération passés par les dictatures du cône sud, dans le cadre du plan « Condor ». 

Le général Carlos Prats, tué avec son épouse par une bombe posée dans sa voiture par le couple Michael Townley et Mariana Callejas, agents de la DINA, le 10 octobre 1974, en Argentine. Considéré le dernier général constitutionnaliste du Chili, Carlos Prats avait pris part du gouvernement d’unité nationale de Salvador Allende, puis avait été poussé à la démission par les putschistes civils et militaires.Il vivait en exil à Buenos Aires avec sa femme Sofía Cuthbert.

Michael Townley, nord-américain expert en électronique et proche du groupuscule ultra nationaliste « Patria et Libertad » depuis sa création, s’était signalé par des tentatives pour se faire recruter par la CIA, sans succès. Il n’apparaît pas clairement si la puissante agence nord américaine, très active alors au Chili, l’a vraiment enrôlé. Suite au putsch militaire, il a intégré la DINA, l’énorme machine de terreur politique créée par Manuel Contreras au service de la dictature.

En 1975 la DINA a installé Mariana Callejas et son mari dans une spacieuse maison à Lo Curro, dans le haut quartier de Santiago. C’était une propriété sur trois niveaux, de presque mille m2 construits et cinq mille m2 de terrain. Elle avait été acquise sous une fausse identité par le major d'armée Raúl Iturriaga Neumann, un des chefs de la DINA, alors responsable de son département extérieur. La maison de Callejas et Townley au N°4275 de la rue Vía Naranja, à Lo Curro, c'était un site secret de la police politique.

Dans ce quartier du nom de code « Quetropillán » opérait l’unité spéciale du même nom, associée à la brigade « Mulchén », et dotée d’un laboratoire de chimie et de matériel électronique et photographique très sophistiqué, pour des opérations spéciales de la police secrète. Michael Townley y préparait des détonateurs pour explosifs, des systèmes d’écoute et d’interception radiale. C’est là qu’ont été préparés les passeports des 119 jeunes arrêtés puis tués par la DINA et présentés ensuite comme des victimes d’un règlement de comptes. Ce plan de dissimulation d'un atroce massacre de masse, organisé par la DINA et relayé par les appareils de sécurité d'au moins 3 pays, est connu comme  l'«opération Colombo ».
 
Orlando Letelier, ministre et ambassadeur de Salvador
Allende et Carlos Prats, ancien chef de l’Armée, général
loyal à la République et ministre d’Allende, tués tous deux
par la branche extérieure de la DINA. Carlos Prats a été
tué avec sa femme Sofía Cuthbert le 29 octobre 1974 à
Buenos Aires. Orlando Letelier a été tué le 21 septembre
1976, à Washington, D.C. avec sa collaboratrice
Ronnie Moffit. Photo Archive M*.


À un autre étage de la maison deux chimistes —Francisco Oyarzún et Eugenio Berríos, alias « Hermès » —, travaillaient à la production d’armes chimiques létales comme le gaz sarin, et les testaient sur des animaux et des prisonniers. C’est aussi dans cette maison qui a été séquestré, puis torturé et assassiné le diplomate espagnol Carmelo Soria, fonctionnaire internationale de l’Onu tombé aux griffes de la brigade « Mulchén » en juillet 1976.

Au deuxième étage, Mariana Callejas —qui écrivait depuis sa jeunesse et avait obtenu des prix dans des discrets concours locaux—, animait un atelier de littérature et organisait des soirées mondaines. Des critiques et des personnages d’un certain renom fréquentaient la maison. Des jeunes écrivains assistaient aux ateliers d’écriture et sont même devenus proches de l’agente, ignorant ce qui s’y passait, et collaborant avec leur présence à donner à la demeure une image de normalité.

Sept néofascistes italiens, avec leur leader Stephano Delle Chiaie, le groupe d’ultra droite qui avait tiré contre Bernardo Leighton et sa femme à Rome, ont trouvé refuge chez Callejas, et les cubains anti castristes, en fuite de la justice américaine pour le meurtre d’Orlando Letelier y ont été aussi longtemps cachés. En 1978 Michael Townley a été extradé aux États-Unis, pour sa responsabilité dans le crime d'Orlando Letelier et sa secrétaire Ronnie Moffit, morts dans une voiture piégée à Washington.

L’arrestation de Townley a signifié à l’époque la chute inévitable de Manuel Contreras, créateur et chef de la police politique de la dictature. Les aveux de Michael Townley, —sous le couvert du programme fédérale de protection de témoins qui lui a épargné 10 ans de  prison—, ont permis d’instruire des enquêtes pour crimes contre plusieurs agents de la DINA. Mariana Callejas avait été condamnée en 2008 à 20 ans de prison pour les meurtres du général Prats et son épouse, mais cette condamnation avait été ensuite annulée, et elle n'aura pris en tout qu’une peine de cinq ans avec sursis.