jeudi 29 novembre 2018

La Journée du Cinéma au Chili : Carmen Bueno Cifuentes et Jorge Müller Silva, 2 jeunes cinéastes disparus au Chili il y a 46 ans

Carmen Bueno Cifuentes et Jorge Müller Silva, jeune couple de cinéastes disparus depuis 46 ans, enlevés et assassinés par la police secrète de Pinochet avec des milliers d'opposants
Le 29 novembre 1974, à Santiago, ont été arrêtés dans la rue Carmen Bueno Cifuentes, comédienne et cinéaste de 24 ans et son fiancé Jorge Müller Silva, cinéaste de 27 ans, tous deux militants du MIR et employés de Chile Films, alors l’entreprise nationale de cinéma. Conduits à la « Villa Grimaldi » —un des sites clandestins de détention et de torture de la dictature—, ils ont été transférés ensuite au camp de détention de « Cuatro Alamos ».

L’enlèvement du jeune couple de cinéastes s’inscrit dans la vaste campagne de razzias massives lancées en 1974 par la DINA, la police politique de Pinochet contre tous les militants de gauche et particulièrement du MIR, la bête noire des appareils répressifs de la dictature.


Jorge Müller Silva lors d’un tournage au nord du Chili en 1972.

Les bourreaux se sont acharnés tout particulièrement sur Carmen Bueno et ont tenté de la faire admettre des liens avec Miguel Enríquez, le leader du M.I.R. tué lors d’une fusillade avec les sbires de la dictature en octobre 1974. La jeune comédienne avait offert un chien au dirigeant du parti avant le putsch.

La carrière de la jeune cinéaste Carmen Bueno a été très courte mais intense. Elle a participé au tournage de « La Terre Promise », de Miguel Littin et « À l'ombre du soleil » de Silvio Caiozzi, des films avec un fort contenu de critique social de deux jeunes réalisateurs du naissant cinéma chilien.

En 1971 elle a connu Jorge Müller, à l’époque jeune chef photographe et l'un des plus importants caméramans du pays. Il était pour les critiques un maître du plan séquence et sa remarquable capacité d'observation était aussi une énorme qualité pour le tournage des entretiens.

Le visage de Carmen Bueno Cifuentes dans les manifestations
exigeant des réponses sur le sort des disparus du Chili.
Jorge Müller avait tourné avec le réalisateur Patricio Guzmán « La Bataille du Chili », long documentaire sur le processus politique commencé au Chili en 1971 avec l’élection de Salvador Allende.

Les traces du couple ont été définitivement perdues le 18 décembre 1974, lorsque trois agents de la DINA chargés du transfert des détenus les ont extraits du camp de « Cuatro Alamos » et les ont embarqués avec un destin inconnu, selon des témoignages des survivants du camp.

Le nom de Carmen Bueno est apparu en juillet 1975 dans la liste des 119 morts lors de prétendus affrontements et règlements de compte intestins des militants de gauche en Argentine. Bien que son nom n’y figure pas, il a été établi que Jorge Müller —comme tous les autres détenus—, a été aussi froidement exécuté lors de cette campagne d’extermination.

La publication de cette liste des 119 disparus c’est le volet public de l’« opération Colombo », vaste plan d’intoxication organisé par la police secrète chilienne pour occulter le massacre de plus d’une centaine de prisonniers politiques. 

Le nom de Carmen Bueno Cifuentes parmi les
milliers de noms des victimes de la dictature au
Chili, gravés sur le Mur de la Mémoire au
cimetière général.
Sous la longue dictature, des cinéastes et scénaristes, des techniciens et comédiens ont maintenu le souvenir de Carmen Bueno et Jorge Müller, en se rassemblant chaque 29 novembre face à la Bibliothèque Nationale du Chili pour exiger la vérité sur le sort de leurs collègues séquestrés. De ces rassemblements est surgi le projet d'instituer cette date comme le jour du Cinéma Chilien, en souvenir des chers disparus.

À l’institut de la Communication et de l'Image de l’université du Chili, le grand auditorium porte aujourd’hui le nom de Jorge Müller Silva ; et au « Musée de la Mémoire et des droits de l’homme », fondé à Santiago du Chili en 2010, une petite vitrine réunit une vieille caméra de cinéma, des photos et des objets personnels ayant appartenu à Carmen Bueno. Les noms du couple sont gravés aussi sur le « Mur de la mémoire », le monument qui rappelle à l’entrée du cimetière général les milliers de victimes de la dictature au Chili.
 


vendredi 26 octobre 2018

Ana González de Recabarren, symbole du combat pour les Disparus s’est éteint au Chili

Ana González de Recabarren, très durement frappée par la longue dictature militaire au Chili, avait consacré sa vie à trouver la vérité et maintenir la mémoire de ses proches. Devenue une icône des familles des disparus, son histoire a été traitée dans différents reportages, et une pièce de théâtre aborde sa vie intime et son combat pour la mémoire : « Ana ne peut pas pleurer ».
Ana González de Recabarren, un des symboles du combat pour la vérité sur les « disparus » au Chili, s’est éteinte vendredi 26 octobre à 93 ans à l’hôpital Saint-Joseph, à Santiago. Dirigeante historique de l’Association des familles des détenus disparus (Afdd), Ana González de Recabarren en était aussi l'une des fondatrices, avec Sola Sierra, Viviana Díaz, Mireya García et Clotario Blest.

Avec les visages de leurs proches épinglés à la
poitrine, les familles des victimes de la dictature
exigent depuis 40 ans des réponses sur le sort
des disparus.

Les 22 et 23 avril 1976 ont été arrêtés son mari, Manuel Recabarren, ses enfants Luis Emilio et Manuel Guillermo, et sa belle fille Nalvia Mena, qui se trouvait alors enceinte. Les 4 ont été conduits dans le centre de tortures de Villa Grimaldi et sont depuis disparus. Comme des milliers de chiliens, Ana González de Recabarren a perdu en moins de 24 heures une bonne partie de sa famille dans les griffes de la DINA, la police politique de la dictature, qui avait lancé au milieu des années 70 une vaste campagne d’extermination des militants de gauche et spécialement des communistes.

Ana González a transformé cette perte atroce et son deuil confisqué en plaidoyer inlassable, une exigence permanente de réponses pour les près de 3000 personnes tuées ou disparues au Chili sous la dictature de Pinochet. Peut-être l'un des visages les plus connus de l’Afdd, Ana González de Recabarren a symbolisé pendant presque 4 décennies le combat digne et risqué des familles des disparus, à la recherche d’une vérité qui leur a été cruellement niée et d’une justice qui a trop tardé.

Toujours en première ligne dans le long et douloureux combat contre le mensonge officiel, Ana González a participé aux grèves de la faim, des sit-in de rue et diverses actions de protestation durant la dictature. Elle a harcelé des juges pour les pousser à enquêter sur le sort des détenus disparus, et elle a aussi fait plusieurs voyages dans différents pays du monde pour introduire des requêtes et témoigner auprès des organismes internationaux, cherchant à faire pression sur la dictature afin qu’elle dise la vérité sur ses prisonniers occultés du Chili.
Ana González de Recabarren
Avec d'autres proches des détenus disparus, lors des manifestations innombrables violemment dissoutes par la police de Pinochet elle a aussi été détenue et brutalisée, mais elle n'a jamais été intimidée et avec un courage étonnant, une fois relâchée elle a continué à organiser des protestations, des grèves de la faim dans les églises ou des ambassades, devant le siège de la Croix-Rouge et les Nations unies. Il y a quelque temps, déjà très affaiblie para la maladie, elle était arrivée en chaise roulante au tribunal pour soutenir les familles des « égorgés » dans leur quête permanente de justice.


Ana González de Recabarren —entre le député démo chrétien Andrés Aylwin, un des avocats des victimes de la dictature et Isabel Allende, alors présidente du Sénat— pendant un hommage aux défenseurs des droits de l’homme au Chili, le 9 septembre 2013.

Sans le combat courageux et opiniâtre d’Ana González de Recabarren, devenu emblématique, probablement plus de personnes seraient disparues au Chili, et l'intérêt du pays pour cette réalité horrible serait actuellement très réduit. Les victimes de la barbarie, leurs familles, camarades et proches, témoignent aujourd’hui de l’immense gratitude de tout un peuple avec Ana González de Recabarren. Son combat juste et indispensable, son courage inaltérable et sa dignité sans faille, font d’elle un exemple rare et simple des valeurs humanistes qui ont été les siens.




lundi 22 octobre 2018

Grand rassemblement à Paris contre le fascisme au Brésil


Grand Rassemblement contre le fascisme au Brésil. Place de la Bataille de
Stalingrad, à Paris, le 20 octobre 2018. Photo : Dominique-Stoenesco.
À l’appel des associations Autres Brésils, France Amérique Latine, Les Amis du Mouvement Sans Terre, Femmes Unies Contre Bolsonaro et la Ligue des droits de l'Homme, un grand rassemblement antifasciste a été réalisé à Paris le 20 octobre dernier. Alors que le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro —ancien militaire, provocateur et nettement profasciste—, est aux portes du pouvoir au Brésil, cette mobilisation fait partie des nombreuses initiatives de solidarité qui émergent en France et en Europe en soutien d'un front pour la Démocratie, et pour signaler que l’extrême droite n’est pas une fatalité, ni au Brésil ni ailleurs.


Soutenue par un très vaste réseau d’organisations syndicales, des associations écologistes et de défense des peuples autochtones, des activistes de la lutte des femmes et des travailleurs, des mouvements sociaux et paysans, ainsi que des partis de la gauche française et européenne, cette manifestation constitue une large et dense plateforme citoyenne qui se dresse spontanément face à la menace contre la démocratie au Brésil. Ce rassemblement —qui a réunit plusieurs milliers de personnes— s’inscrit aussi dans une chaîne de manifestations et mobilisations diverses, simultanées, effectués dans le même but au Brésil et un peu partout autour du monde.

Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val de Marne,
vice-présidente de la commission des affaires sociales au
Sénat, membre du groupe communiste républicain citoyen
et écologiste, au Rassemblement contre le fascisme au
Brésil, le 20 octobre 2018. Photo : Lorraine Larousse.
Car le risque de voir revenir l’extrême droite au pouvoir est réel au Brésil, seulement 33 ans après la fin de la dictature militaire dans le pays. Le candidat pro fasciste Jair Bolsonaro a frôlé les 50 millions de voix, soit 46,03 % des électeurs, et a été quasiment porté au pouvoir dès le premier tour. Ce même dimanche son Parti social libéral (PSL) a obtenu 52 sièges de députés, alors que lors du dernier mandat il n'en détenait qu'un seul.

Ouvertement raciste et classiste, sexiste, misogyne et homophobe, Bolsonaro est l'homme de tous les dangers : ses propos haineux et violents ont déjà déchaîné une vague de violences sans précédent contre des populations noires, contre des électeurs de gauche et des agressions contre des homosexuels. Plusieurs dizaines de cas ont déjà été documentés au Brésil depuis le premier tour du dimanche 07 octobre. Il prône en plus la légalisation du port d’armes, dans un pays atteint d’une profonde injustice sociale, d’une violence endémique et avec un énorme taux de morts de jeunes.


Son opposant Fernando Haddad, ex-maire de Sao Paulo, n'a été propulsé candidat officiel du Parti des travailleurs (PT) que le 11 septembre dernier, en remplacement de Luiz Inacio da Silva Lula, alors grand favori des sondages. Avocat et universitaire, Fernando Haddad n'a pas le charisme de Lula, et il peine pour l’instant à former le front républicain qui pourrait arracher le Brésil aux griffes de l’ultra droite agressive et conquérante de Bolsonaro.





samedi 14 juillet 2018

Un appel public pour l’asile en France à Ricardo Palma et Silvia Brzovic, anciens résistants à la dictature

Plusieurs personnalités en France lancent un appel public en défense de Ricardo Palma Salamanca et Silvia Brzovic. Dans un tribune collective diffusée le 14 juillet par Médiapart, la cinéaste Carmen Castillo, Olivier Duhamel, homme politique, Louis Joinet, juriste, le sociologue Alain Touraine et le cinéaste Costa-Gavras appellent la France à protéger le couple et ses enfants, en leur reconnaissant le statut de réfugiés politiques. Le pianiste argentin Miguel Angel Estrella, ancienne victime lui aussi de la repression militaire et Ambassadeur de bonne volonté auprès de l'Unesco s'est joint aussi à l'appel.


Ricardo Palma et Silvia Brzovic, anciens militants de gauche qui ont combattu la longue dictature du général Pinochet sont aujourd'hui réclamés par la justice du Chili, en vertu de la législation héritée de la dictature.

Plusieurs collectifs spontanés avaient lancé des actions de soutien et diverses manifestations depuis Février 2018, date à laquelle le couple s’est rendu à la justice en France. Des associations et des activistes des Droits de l’homme se sont aussi mobilisés pour l’octroi de l’asile politique à la famille Palma – Brzovic. Au Chili, des artistes, des enseignants, des juristes et différentes acteurs sociaux ont manifesté également leur soutien à cette demande.


Une initiative publique a été lancée aussi en ligne pour financer les frais de la défense, sur le site https://defenseasile.wordpress.com/.