mercredi 30 septembre 2020

La « Caravane de la Mort », le 1er raid d'extermination héliporté de la dictature chilienne

Douze officiers de l’armée de terre chilienne, spécialement choisis parmi les plus durs et cruels, sont partis de l'aérodrome de Tobalaba le 30 septembre 1973 à bord d’un hélicoptère Puma SA 330. Ils avaient la mission d’éliminer près d’une centaine d’opposants tout au long du pays, et ils ont compté sur la collaboration des officiers et soldats des garnisons locales. Infographie Méridion.

 
La « Caravane de la Mort », c’est le surnom macabre donné à l’unité militaire qui a parcouru le Chili à la chasse d'opposants au régime, suite au coup d’État de septembre 1973. Soucieux de prouver à ses pairs de l’Armée sa ferme détermination, et de dissuader aussi quelques commandants de garnisons de province considérés légalistes et trop modérés, le dictateur Pinochet a délégué au général Sergio Arellano Stark la mission officielle « d'accélérer les procès des détenus politiques », et « d’unifier les critères d’administration de justice ».

Le général Sergio Arellano Stark, conspirateur et
putschiste de la première heure, responsable des
massacres de la Caravane de la mort. Il a échappé
à la justice grâce à une opportune démence sénile.
Investi des pleins pouvoirs, Sergio Arellano Stark —général de l’armée de terre, ancien aide de camp du président Eduardo Frei et l'un des instigateurs du coup d'État qui a destitué le gouvernement constitutionnel du Président Salvador Allende—, est parti à la tête d’une unité spéciale héliportée composée d’une douzaine d’officiers et sous-officiers triés sur le volet. C’était la première brigade volante d’extermination déployée par la dictature, quelques jours après le sanglant coup d’état du 11 septembre.

Ils ont décollé de l'aérodrome de Tobalaba le 30 septembre 1973 à bord d’un hélicoptère Puma SA 330, et ils ont traversé le Chili du sud au nord pendant le mois d’octobre.

Ils ont fait étape dans 16 villes du pays, et ils ont épluché les listes de prisonniers politiques détenus depuis le putsch dans des casernes, prisons et commissariats. Une rapide sélection opérée par le général Sergio Arellano Stark et des assistants locaux, lors d’une grossière pantomime de « tribunal militaire », a alors déterminé ceux qui devaient être exécutés sans délai.


Extraits des lieux de détention généralement la nuit, les prisonniers ont été ligotés, embarqués dans des camions de l’armée un sac de toile sur la tête, conduits dans des endroits isolés et froidement assassinés après des effroyables sévices.

Tout au long de leur sinistre parcours, l’équipe d’officiers et ses adjoints des garnisons locales ont tué leurs prisonniers avec une férocité démesurée : ils leur ont brisé les os à coups de pieds et à coups de crosses, ils leur ont fracturé les mâchoires et les jambes ; ils les ont frappés avec des longs poignards militaires corvos, ils ont arraché des yeux et ont à plusieurs reprises mutilé leurs victimes vivantes, avant de les cribler de balles.
Des sacs avec les restes de 15 victimes
de la Caravane de la mort, au cimetière
de La Serena, ville au nord du Chili.


Le passage de cette unité spéciale chargée des opérations d’extermination a fait près d’une centaine de morts. La liste totale des victimes de la Caravane de la mort, n’est pas encore close, celle des assassins n’est toujours pas entièrement établie.

Comme dans d’autres cas innombrables de massacres de détenus politiques, la version officielle des autorités militaires pour justifier ces exécutions sommaires a été que les victimes avaient tenté de s’enfuir lors du transfert.
 

Longtemps après, quand on a demandé à l'ancien général Joaquín Lagos Osorio —chef de l'armée du Nord—, pourquoi les corps des morts de son secteur n'avaient jamais été rendus aux familles, Lagos a expliqué qu'il avait honte qu'on découvre les méthodes barbares des officiers de la caravane pour assassiner leurs prisonniers.

Souvent atrocement mutilées, les dépouilles de douzaines d’opposants à la dictature ont été enterrées dans des zones désertiques, ou enfouies dans des charniers clandestins. Des années plus tard, la dictature a tenté d’effacer les traces des massacres tout au long du pays, et plusieurs charniers clandestins ont été détruits à l’explosif, vidés avec des pelles mécaniques et les restes lancés à la mer. Après des années de fouilles, de douleur et de cruelle incertitude pour les familles des victimes, quelques fragments d’os ont été retrouvés dans le désert du Nord, et dans différents sites disséminés le long du territoire chilien.

Comme dans d’autres dossiers ouverts concernant les exactions de l’armée de Pinochet pendant sa très longue dictature, des plaies béantes dans l’histoire du Chili, la vérité n’est pas rétablie, la justice n’est toujours pas passée.