Comme
il y a 30 ans au Chili, des membres de l’Association des familles des Détenus
Disparus (Afdd) se sont enchaînés aux grilles du Congrès national à Santiago lundi
20 juin, pour rejeter les récents projets de loi présentés au Sénat qui
accordent des bénéfices aux anciens militaires emprisonnés pour des violations
aux droits de l'homme.
Manuel
Guerrero, un des manifestants, sociologue et enseignant à l'Université du Chili
—le fils d’une des victimes égorgées par la police de Pinochet en 1985—, a
déclaré « comme sous la dictature nous sommes enchaînés encore une fois,
mais maintenant en démocratie, parce que des bénéfices et même la liberté sont
accordés aux criminels écroués à Punta Peuco ».
Environ une centaine d’anciens officiers des armées et de la police, liés aux
appareils de sécurité de la dictature —notamment de la DINA—, responsables des tortures innommables et des exécutions de
masse sur des milliers d’opposants politiques désarmés, purgent des longues
peines dans la prison spéciale de « Punta Peuco ».
Dédié
exclusivement aux anciens militaires, cet établissement de haut standing jouit
d’une série d’installations de confort, des services et d’avantages matériels,
ainsi que du traitement de faveur de l’administration. Dans cette prison
« 5 étoiles », des sorties et des aménagements particuliers inexistants dans
d’autres établissements du pays font partie du régime.
La
présidente de l'Afdd, Mme Lorena Pizarro, a dénoncé la « logique d'impunité inacceptable
installée dans le pays », qui cherche à faire libérer des condamnés pour des
violations gravissimes aux droits de l’homme et des crimes de lèse humanité,
commis pendant la longue dictature militaire du général Pinochet. « Nous
voulons que le Sénat abandonne cette initiative honteuse, et qu’il élabore plutôt
un projet de loi pour empêcher l’aménagement des peines et le bénéfice de la liberté
conditionnelle aux violeurs des droits de l'homme », a indiqué la dirigeante.
La
députée communiste Karol Cariola a signalé qu’il est « très douloureux de
voir que les parents des victimes recommencent à s’enchaîner, tandis que les
criminels se voient accorder la liberté ». La jeune parlementaire a aussi
déclaré qu’il « serait lamentable que des élus de la Nouvelle Majorité (la
coalition majoritaire au pouvoir) », se joignent au projet de donner des
bénéfices aux ex militaires criminels en prison. « C'est une gifle aux
visages des familles des détenus disparus ».
La
manifestation, qui rappelle au Chili les audacieuses actions des familles des
disparus aux pires moments de la répression politique, c’est une riposte aux trois
projets de loi déposés par des parlementaires de l'opposition de droite, visant
à élargir les bénéfices du droit commun aux criminels des droits de l’homme, âgés ou atteints des
maladies graves ou incurables. Des recours de protection et des mises en
liberté ont été aussi tranchées en faveur des anciens meurtriers par la cour de
justice.
Depuis
longtemps et sous diverses formes, sous l’impulsion de la « famille militaire »
—l’efficace lobby d’anciens officiers tortionnaires—, une forte campagne relayée
par la droite parlementaire et par une partie de la puissante église catholique,
liée parfois par des liens de parenté aux gradés de l’armée, vise à obtenir par
voie législative l’allégement des peines et à terme la délivrance des criminels
aux droits de l'homme.
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Les députés de la gauche parlementaire Sergio Aguiló et Hugo Gutiérrez dans la manifestation des familles des détenus disparus. |
Au
Sénat et à l’Assemblée, la droite parlementaire dure et conservatrice, héritière
politique du Pinochetisme et traversée par des dissensions et des scandales
financiers, a fait du dossier des criminels emprisonnés un objectif stratégique
majeur.
Et
pourtant, ni le Droit ni la jurisprudence internationale ne prévoient des
aménagements pour les condamnés pour des crimes contre l'humanité commis par « des
agents de l'État armés ». Ces crimes sont, en principe, « imprescriptibles,
non amnistiables et ne peuvent faire l’objet d’une grâce ».