jeudi 10 septembre 2015

11 septembre 1973…


Le matin du 11 septembre 1973, l’armée de terre putschiste cerne le palais de « La Moneda » avec des chars M-41 du Régiment Blindé N°2, sous commandement du général Javier Palacios. Photo Chas Gerretsen.
L’onze septembre signale un nouvel anniversaire du coup d'État au Chili, ce jour funeste de 1973 quand les forces armées, entraînées par un quarteron de généraux et d’officiers putschistes ont détourné contre le peuple et les institutions les armes que le peuple leur avait confiées, et ont brisé ainsi honteusement leur serment de défendre la Constitution, les symboles nationaux et les lois. Le monde garde toujours une mémoire très vive du palais du gouvernement bombardé, et du Président légitime de la République au milieu de sa garde rapprochée, les armes à la main, résistant aux assauts des putschistes.

Désarmées et désorganisées, confiantes pour la plupart jusqu’à la fin dans une prétendue loyauté des militaires chiliens, les forces politiques qui ont soutenu Allende ont été décimées : les putschistes ont contrôlé rapidement tout le territoire national et écrasé toute possibilité de riposte avec un déploiement implacable de forces et de moyens.

Le rôle primordial du département d'État nord-américain dans le processus de déstabilisation politique et économique du Chili, —notamment de l’administration Nixon et de M. Henry Kissinger à travers l’agence du renseignement étasunienne—, ainsi que son soutien au régime de Pinochet ont été largement établis et documentés par différentes enquêtes parlementaires.

À plus de 4 décennies de cette date néfaste, la bataille héroïque de « La Moneda » et quelques combats isolés, des gestes dérisoires qui ont été les premiers actions de résistance à la dictature, demeurent dans le temps et l’histoire et accroissent la stature des patriotes chiliens morts en défense de la République et la démocratie.

Figure emblématique de la longue nuit du Chili, le général félon Augusto Pinochet a symbolisé dès le 11/9 l’archétype du despote ignare et brutal, cruel et dénué de scrupules. Il a été l’un des spécimens les plus caractérisés du dictateur, qui détient —même après sa mort— une place paradigmatique dans l'histoire contemporaine et parmi les tyrans de l'Amérique latine, un sous-continent très fourni en tyrans.
 
Le dictateur chilien Augusto Pinochet et Henry Kissinger. Le célèbre rapport Colby a dévoilé dès la fin des années 70 les opérations clandestines de déstabilisation menées par la Cia nord-américaine au Chili contre le gouvernement constitutionnel de Salvador Allende, notamment le financement aux mouvements séditieux de droite et les militaires putschistes. Illustration de Tim, parue dans « L’Express », France, septembre 1973.

La longue dictature a provoqué des milliers de morts et des milliers d’expatriés, mais aussi l'avilissement durable des forces armées de la nation, coupables de crimes abjects qui ont creusé un abîme insurmontable entre les bourreaux et la population. En établissant la torture systématique et le meurtre de masse comme arme politique contre les opposants, la tyrannie de Pinochet a instauré la terreur au Chili et a fait du pays l’emblème universel de la barbarie.

Les atrocités de la dictature militaire ont aussi attiré l’attention de l’opinion publique mondiale autour du thème des droits de l’homme, et ont fait paradoxalement avancer le droit international. En effet, suite aux épouvantables expériences du Chili et d’autres pays d’Amérique latine qui ont subi depuis les années 70 des cruelles dictatures, une conscience plus aigüe autour des exactions aux droits fondamentaux s’est éveillée de par le monde.

Les miradors et les barbelés, les camps de concentration pour prisonniers politiques érigés tout au long du pays, ainsi que les chambres de tortures où des milliers de personnes, hommes et femmes de tous âges ont été méthodiquement soumis à des supplices abominables, souvent jusqu’à l’extermination, auront servi finalement à installer au Chili un nouvel ordre politique et économique. Par la force, sous la cravache militaire et sans contrepoids ni contestation, une véritable mutation néo libérale a été opérée en 17 ans de dictature.

Depuis 25 ans les militaires sont apparemment de retour dans leurs casernes et la démocratie est rétablie au Chili. L’ancien dictateur est décédé de sa belle mort, sans avoir été vraiment inquiété par la justice. Quelques responsables d’atrocités et de tueries massives purgent des longues peines dans leur exclusive prison 5 étoiles.

Avec la perpétuation du modèle économique qu’elle a voulu et définitivement imposé
au pays, le véritable triomphe de la dictature c’est la Constitution politique de 1980. Rédigée à la mesure du dictateur par des idéologues de l’extrême Droite nationale, validée par un plébiscite convoqué pendant la terreur et sous l’état de siège, cette charte fondamentale croupion régit la vie politique chilienne depuis 35 ans.
 
Sorti de la longue dictature militaire depuis 1990, le Chili est toujours régi par la Constitution de 1980, charte fondamentale croupion profondément anti-démocratique, rédigée à la mesure du dictateur et promulguée sous l’état de siège.

Divers toilettages et amendements lui ont été pratiqués par les gouvernements civils successifs, notamment la suppression des sénateurs désignés et la reforme du mode de scrutin inéquitable. Mais le fait qu’une telle constitution illégitime soit toujours en vigueur, et qu’elle prolonge l’héritage politique de Pinochet, signifie une insulte pour ses milliers de victimes, un affront fait aux démocrates du Chili et d’ailleurs qui se sont battus pour débarrasser le pays du triste legs de la dictature.

D’autre part, les faits signalent que l’emprise des militaires sur la vie publique reste significative, leur puissance politique indéniable. Hormis leurs traitements juteux et les prébendes accordées à leurs fonctions, les militaires perçoivent d'importants revenus publiques en provenance de l’exploitation et l’exportation du cuivre —la première richesse minière nationale, appelé le salaire du Chili—, et Ils ont gardé aussi la haute main et l’exclusivité sur diverses affaires immobilières et l’export lié aux industries militaires.

Le général Humberto Oviedo, commandant en chef de
l’armée, devant la commission de défense de la Chambre
des Députés : « laissez-nous évaluer nous-mêmes les
questionnements que la société nous pose
».
Des anciens agents de la CNI, la sinistre police politique de Pinochet, sont toujours employés par l’armée à des postes de responsabilité et jouissent de la couverture juridique institutionnelle.
Un puissant et discret réseau de protection
la « famille militaire »—, couvre aussi des officiers à la retraite ou actifs coupables des crimes sous la dictature.
La « famille militaire » agit comme un puissant lobby d’anciens officiers et militaires actifs, enkystés à plusieurs échelons de la vie institutionnelle et économique, ainsi qu’à l’église, qui œuvrent  plus ou moins discrètement pour arrêter les procès contre les militaires responsables d'atrocités, et pour libérer à terme les anciens officiers condamnés pour crimes d'opposants à Pinochet.

Les récentes déclarations du général Humberto Oviedo, commandant en chef de l’armée, devant la Commission de défense de la Chambre de Députés, montrent une curieuse conception du commandement militaire vis-à-vis du monde civil et citoyen.
Consulté sur divers thèmes touchant aux pratiques de l’armée de garder dans ses effectifs des criminels aux droits de l’homme, et de ne pas se séparer des symboles fortement associés à la répression politique —notamment la photo du chef de la DINA, symbole de la violence politique récemment décédé—, le général Humberto Oviedo a réclamé le droit de l’armée à décider en toute autonomie de sa conduite.

« Laissez-nous évaluer nous-mêmes les questionnements que la société nous pose ».

Cette réponse dévoile un état d'esprit et une attitude courante dans les milieux militaires, qui se perçoivent eux-mêmes comme une caste à part, un espace clos, en tout cas étranger aux regards et aux décisions des politiques et des citoyens.
Le général Oviedo s’est vu répondre par le président de la commission de Défense, que « ce qu'est bon pour l'Armée le détermine non pas l'Armée toute seule, mais toute la société…».