Mariana
Callejas,
écrivaine et ancienne agente de la DINA —la Direction d’intelligence nationale, la redoutée
police politique de Pinochet—, est décédée le mardi 10 août
dernier à 84 ans dans une maison de repos à Las Condes, un quartier
huppé de Santiago.
Mariana
Callejas,
avec son ex-mari Michael Townley, a été accusée de participation directe
à des crimes, comme les meurtres du général Carlos Prats et son épouse Sofía Cuthbert en 1974 en
Argentine, et les meurtres d'Orlando Letelier et Ronnie Moffit en
1976, aux États unis. Des enquêtes et procédures judiciaires contre elle,
contre son mari et la DINA, ont été instruites dans au moins 4 pays où
des opérations d’élimination d’opposants ont été exécutées par la dictature
chilienne depuis 1974.
Selon des
témoignages du chef de la DINA Manuel Contreras, et de Michael
Townley, c'est Mariana Callejas qui a déclenché l’explosion de la
bombe qui a tué le couple Carlos Prats en Argentine. Sous le faux nom de
María Luisa Pizarro, Mariana Callejas agissait pour la DINA
dès le milieu de la décennie des 70. En début 1975 elle a accompagné son mari
dans une mission d'élimination d'opposants au Mexique, où avait lieu une
réunion. Faute de coordination, le coup n’a pas réussi, puis d'autres missions
ont suivi en Europe. À l’époque, le couple Townley exécute diverses
tâches de filature, des repérages, et noue aussi des contacts utiles pour
pouvoir lancer ensuite à l’étranger des actions soutenues par des réseaux
locaux alliés.
Callejas et Townley
ont ainsi établi des liens avec le milieu néofasciste à Rome et aussi aux
États-Unis avec les cubains anti castristes de Miami. Ce sont des fascistes
italiens qui ont tiré sur Bernardo Leighton et sa femme à Rome en
octobre 1975. Puis ce sont les cubains qui ont fourni la
logistique et les complicités pour commettre les assassinats d'Orlando
Letelier —ancien diplomate et ministre d’Allende—, et de Ronnie
Moffit, en septembre 1976, à Washington.
La DINA déployait alors une forte offensive extérieure, et menait des opérations d'éliminations ciblées d'opposants influents, hommes politiques et anciens membres du gouvernement déchu de Salvador Allende, supposés créer à l’étranger des problèmes à la dictature chilienne. Ces opérations étaient singulièrement facilitées par les accords d’entraide et coopération passés par les dictatures du cône sud, dans le cadre du plan « Condor ».
Michael Townley, nord-américain expert en électronique et proche du groupuscule ultra nationaliste « Patria et Libertad » depuis sa création, s’était signalé par des tentatives pour se faire recruter par la CIA, sans succès. Il n’apparaît pas clairement si la puissante agence nord américaine, très active alors au Chili, l’a vraiment enrôlé. Suite au putsch militaire, il a intégré la DINA, l’énorme machine de terreur politique créée par Manuel Contreras au service de la dictature.
En 1975 la DINA a installé Mariana Callejas et son mari dans une spacieuse maison à Lo Curro, dans le haut quartier de Santiago. C’était une propriété sur trois niveaux, de presque mille m2 construits et cinq mille m2 de terrain. Elle avait été acquise sous une fausse identité par le major d'armée Raúl Iturriaga Neumann, un des chefs de la DINA, alors responsable de son département extérieur. La maison de Callejas et Townley au N°4275 de la rue Vía Naranja, à Lo Curro, c'était un site secret de la police politique.
Dans ce
quartier du nom de code « Quetropillán » opérait l’unité
spéciale du même nom, associée à la brigade « Mulchén », et
dotée d’un laboratoire de chimie et de matériel électronique et photographique
très sophistiqué, pour des opérations spéciales de la police secrète. Michael
Townley y préparait des détonateurs pour explosifs, des systèmes d’écoute
et d’interception radiale. C’est là qu’ont été préparés les passeports des 119
jeunes arrêtés puis tués par la DINA et présentés ensuite comme des
victimes d’un règlement de comptes. Ce plan de dissimulation d'un atroce
massacre de masse, organisé par la DINA et relayé par les appareils de
sécurité d'au moins 3 pays, est connu comme l'«opération Colombo ».
À un autre
étage de la maison deux chimistes —Francisco Oyarzún et Eugenio Berríos, alias « Hermès » —, travaillaient à la
production d’armes chimiques létales comme le gaz sarin, et les testaient sur
des animaux et des prisonniers. C’est aussi dans cette maison qui a été
séquestré, puis torturé et assassiné le diplomate espagnol Carmelo Soria,
fonctionnaire internationale de l’Onu tombé aux griffes de la brigade « Mulchén »
en juillet 1976.
Au deuxième
étage, Mariana Callejas —qui écrivait depuis sa jeunesse et avait obtenu
des prix dans des discrets concours locaux—, animait un atelier de littérature
et organisait des soirées mondaines. Des critiques et des personnages d’un
certain renom fréquentaient la maison. Des jeunes écrivains assistaient aux ateliers
d’écriture et sont même devenus proches de l’agente, ignorant ce qui s’y
passait, et collaborant avec leur présence à donner à la demeure une image de
normalité.
Sept
néofascistes italiens, avec leur leader Stephano Delle Chiaie, le groupe
d’ultra droite qui avait tiré contre Bernardo Leighton et sa femme à
Rome, ont trouvé refuge chez Callejas, et les cubains anti castristes,
en fuite de la justice américaine pour le meurtre d’Orlando Letelier y ont
été aussi longtemps cachés. En 1978 Michael
Townley a été extradé aux États-Unis, pour sa responsabilité dans le
crime d'Orlando Letelier et sa secrétaire Ronnie Moffit, morts
dans une voiture piégée à Washington.
L’arrestation
de Townley a signifié à l’époque la chute inévitable de Manuel
Contreras, créateur et chef de la police politique de la dictature. Les
aveux de Michael Townley, —sous le couvert du programme fédérale de
protection de témoins qui lui a épargné 10 ans de prison—, ont permis d’instruire des enquêtes
pour crimes contre plusieurs agents de la DINA. Mariana Callejas
avait été condamnée en 2008 à 20 ans de prison pour les meurtres du général Prats
et son épouse, mais cette condamnation avait été ensuite annulée, et elle
n'aura pris en tout qu’une peine de cinq ans avec sursis.