jeudi 11 août 2016

Mariana Callejas, ex-agente de la DINA et écrivaine est morte à 84 ans



Mariana Callejas, alias María Luisa Pizarro, ex agente clandestine de la puissante DINA. Elle a participé des opérations déclenchées par la police politique de Pinochet pour aller éliminer leurs opposants au delà des frontières du Chili

Mariana Callejas, écrivaine et ancienne agente de la DINA —la Direction d’intelligence nationale, la redoutée police politique de Pinochet—, est décédée le mardi 10 août dernier à 84 ans dans une maison de repos à Las Condes, un quartier huppé de Santiago.

Mariana Callejas, avec son ex-mari Michael Townley, a été accusée de participation directe à des crimes, comme les meurtres du général Carlos Prats et son épouse Sofía Cuthbert en 1974 en Argentine, et les meurtres d'Orlando Letelier et Ronnie Moffit en 1976, aux États unis. Des enquêtes et procédures judiciaires contre elle, contre son mari et la DINA, ont été instruites dans au moins 4 pays où des opérations d’élimination d’opposants ont été exécutées par la dictature chilienne depuis 1974.

Selon des témoignages du chef de la DINA Manuel Contreras, et de Michael Townley, c'est Mariana Callejas qui a déclenché l’explosion de la bombe qui a tué le couple Carlos Prats en Argentine. Sous le faux nom de María Luisa Pizarro, Mariana Callejas agissait pour la DINA dès le milieu de la décennie des 70. En début 1975 elle a accompagné son mari dans une mission d'élimination d'opposants au Mexique, où avait lieu une réunion. Faute de coordination, le coup n’a pas réussi, puis d'autres missions ont suivi en Europe. À l’époque, le couple Townley exécute diverses tâches de filature, des repérages, et noue aussi des contacts utiles pour pouvoir lancer ensuite à l’étranger des actions soutenues par des réseaux locaux alliés.

Callejas et Townley ont ainsi établi des liens avec le milieu néofasciste à Rome et aussi aux États-Unis avec les cubains anti castristes de Miami. Ce sont des fascistes italiens qui ont tiré sur Bernardo Leighton et sa femme à Rome en octobre 1975. Puis ce sont les cubains qui ont fourni  la logistique et les complicités pour commettre les assassinats d'Orlando Letelier —ancien diplomate et ministre d’Allende—, et de Ronnie Moffit, en septembre 1976, à Washington.

La DINA déployait alors une forte offensive extérieure, et menait des opérations d'éliminations ciblées d'opposants influents, hommes politiques et anciens membres du gouvernement déchu de Salvador Allende, supposés créer à l’étranger des problèmes à la dictature chilienne. Ces opérations étaient singulièrement facilitées par les accords d’entraide et coopération passés par les dictatures du cône sud, dans le cadre du plan « Condor ». 

Le général Carlos Prats, tué avec son épouse par une bombe posée dans sa voiture par le couple Michael Townley et Mariana Callejas, agents de la DINA, le 10 octobre 1974, en Argentine. Considéré le dernier général constitutionnaliste du Chili, Carlos Prats avait pris part du gouvernement d’unité nationale de Salvador Allende, puis avait été poussé à la démission par les putschistes civils et militaires.Il vivait en exil à Buenos Aires avec sa femme Sofía Cuthbert.

Michael Townley, nord-américain expert en électronique et proche du groupuscule ultra nationaliste « Patria et Libertad » depuis sa création, s’était signalé par des tentatives pour se faire recruter par la CIA, sans succès. Il n’apparaît pas clairement si la puissante agence nord américaine, très active alors au Chili, l’a vraiment enrôlé. Suite au putsch militaire, il a intégré la DINA, l’énorme machine de terreur politique créée par Manuel Contreras au service de la dictature.

En 1975 la DINA a installé Mariana Callejas et son mari dans une spacieuse maison à Lo Curro, dans le haut quartier de Santiago. C’était une propriété sur trois niveaux, de presque mille m2 construits et cinq mille m2 de terrain. Elle avait été acquise sous une fausse identité par le major d'armée Raúl Iturriaga Neumann, un des chefs de la DINA, alors responsable de son département extérieur. La maison de Callejas et Townley au N°4275 de la rue Vía Naranja, à Lo Curro, c'était un site secret de la police politique.

Dans ce quartier du nom de code « Quetropillán » opérait l’unité spéciale du même nom, associée à la brigade « Mulchén », et dotée d’un laboratoire de chimie et de matériel électronique et photographique très sophistiqué, pour des opérations spéciales de la police secrète. Michael Townley y préparait des détonateurs pour explosifs, des systèmes d’écoute et d’interception radiale. C’est là qu’ont été préparés les passeports des 119 jeunes arrêtés puis tués par la DINA et présentés ensuite comme des victimes d’un règlement de comptes. Ce plan de dissimulation d'un atroce massacre de masse, organisé par la DINA et relayé par les appareils de sécurité d'au moins 3 pays, est connu comme  l'«opération Colombo ».
 
Orlando Letelier, ministre et ambassadeur de Salvador
Allende et Carlos Prats, ancien chef de l’Armée, général
loyal à la République et ministre d’Allende, tués tous deux
par la branche extérieure de la DINA. Carlos Prats a été
tué avec sa femme Sofía Cuthbert le 29 octobre 1974 à
Buenos Aires. Orlando Letelier a été tué le 21 septembre
1976, à Washington, D.C. avec sa collaboratrice
Ronnie Moffit. Photo Archive M*.


À un autre étage de la maison deux chimistes —Francisco Oyarzún et Eugenio Berríos, alias « Hermès » —, travaillaient à la production d’armes chimiques létales comme le gaz sarin, et les testaient sur des animaux et des prisonniers. C’est aussi dans cette maison qui a été séquestré, puis torturé et assassiné le diplomate espagnol Carmelo Soria, fonctionnaire internationale de l’Onu tombé aux griffes de la brigade « Mulchén » en juillet 1976.

Au deuxième étage, Mariana Callejas —qui écrivait depuis sa jeunesse et avait obtenu des prix dans des discrets concours locaux—, animait un atelier de littérature et organisait des soirées mondaines. Des critiques et des personnages d’un certain renom fréquentaient la maison. Des jeunes écrivains assistaient aux ateliers d’écriture et sont même devenus proches de l’agente, ignorant ce qui s’y passait, et collaborant avec leur présence à donner à la demeure une image de normalité.

Sept néofascistes italiens, avec leur leader Stephano Delle Chiaie, le groupe d’ultra droite qui avait tiré contre Bernardo Leighton et sa femme à Rome, ont trouvé refuge chez Callejas, et les cubains anti castristes, en fuite de la justice américaine pour le meurtre d’Orlando Letelier y ont été aussi longtemps cachés. En 1978 Michael Townley a été extradé aux États-Unis, pour sa responsabilité dans le crime d'Orlando Letelier et sa secrétaire Ronnie Moffit, morts dans une voiture piégée à Washington.

L’arrestation de Townley a signifié à l’époque la chute inévitable de Manuel Contreras, créateur et chef de la police politique de la dictature. Les aveux de Michael Townley, —sous le couvert du programme fédérale de protection de témoins qui lui a épargné 10 ans de  prison—, ont permis d’instruire des enquêtes pour crimes contre plusieurs agents de la DINA. Mariana Callejas avait été condamnée en 2008 à 20 ans de prison pour les meurtres du général Prats et son épouse, mais cette condamnation avait été ensuite annulée, et elle n'aura pris en tout qu’une peine de cinq ans avec sursis.